Au contraire de bon nombre de guerriers, Monstre des Nuits ne rêvait pas de chasse. S’il rêvait de lapin, c’était à la limite à Saison des Neiges, lorsqu’il était bien au chaud dans son ventre. Monstre des Nuits ne s’était jamais inquiété de la teneur de ses rêves : car il n’en faisait pas. Sa vie, douce et sans obstacle ne lui offrait que des longues nuits de sommeil bien mérité, lorsqu’il revenait, épuisé, d’une petite partie de chasse. Il ne prenait pas forcément grand plaisir à courir derrière une souris. En fait, Monstre des Nuits ne prenait grand plaisir à rien. Manger, discuter. Tels étaient ses loisirs, et ils lui convenaient bien. Dormir, aussi.
En parlant, de sommeil, il entendit les guerriers de la patrouille de l’aube se lever dans la tanière des guerriers. Il était réveillé et alerte, mais gardait les yeux clos et l’esprit embrumé par la chaleur qui régnait dans son antre. Il ne souhaitait pas partir pour une quelconque patrouille. Une guerrière se leva, à en juger par son odeur, ce n’était que Pluie Ténébreuse. Le mâle cherchait depuis quelques jours à recontacter Lueur d’Occident ou Feu des Ombres, deux guerriers qui lui avaient tenu compagnie lors d’un affreux orage non loin du campement. Ils étaient sans doute déjà partis. Il se rendormit.

Pluie Ténébreuse rentra à nouveau dans la tanière, le réveillant. Il n’ouvrit même pas un œil, chaudement lové dans son tapis de mousse, la queue devant la tête, pour ne pas se faire réveiller par les rayons du soleil qui arrivaient à l’atteindre lorsque la journée était avancée. La guerrière, apparemment incertaine ressortit en un coup de vent, aussi vite qu’elle était rentrée. Étonné, Monstre des Nuits pensa que si on l’avait réveillé par quatre fois lors de ce début de journée, c’est que le Clan des Étoiles considérait qu’il fallait désormais se lever.
Non, Monstre des Nuits n’était pas si croyant que ca. Il lui fallait juste une bonne excuse pour suivre cette jolie guerrière à la trace olfactive fruitée qui l’avait tiré de ses songes.

La journée était magnifique. Le vent était frais, mais pas désagréable. Un peu de givre constellait encore le sol, et il sortit les griffes de peur de s’étaler devant tout le monde. Il s’étira comme un roi, bâilla à s’en décrocher la mâchoire, et chercha la guerrière. Son regard se déposa sur le tas de gibier, et son ventre se crispa à l’idée de ne pas manger ce soir : il ne restait qu’un pauvre lapin, maigre souvenir de ce que pouvait être la réserve au printemps. Déconcentré, il perdit un instant de vue son objectif, et la guerrière lui glissa entre les griffes. Agacé par cette course-poursuite qui s’annonçait, il grommela, s’ébroua et sortit à fond de train du Camp. Je suis encore tombé sur une hyperactive… grommela t-il dans sa barbe.

Il retrouva la jeune femelle qui n’était pas allée bien loin finalement. Il allait l’aborder lorsqu’elle se retourna vivement et planta ses yeux dans les siens. Gêné d’être pris sur le fait, Monstre des Nuits se dandina d’une patte sur l’autre, remettant en place son long pelage gris qui ne tenait pas en place. « - Salut Pluie Ténébreuse. Je peux t’accompagner ? Je crois qu’on manque de gibier. » N’attendant pas vraiment sa réponse, il vint se placer près d’elle, une lueur de malice éclairant ses grands yeux verts. Il s’assit contre son flanc, à une longueur de queue. « - Quel est ton terrain de chasse préféré ? »

La guerrière lui lança un regard outré, comme s’il avait franchit des frontières invisibles de son intimité. Monstre des Nuits ne se démonta pas pour autant : il savait depuis son plus jeune âge que bon nombre de femelles étaient dotées d’un caractère assez virulent, et qu’elles avaient le sang chaud. Lui qui était si calme et si paresseux trouvait que c’était un bon compromis. Il savait parfois allumer la flamme de l’énergie chez un être qui serait capable de l’éteindre en temps voulus. Le guerrier décida de ne pas baisser le regard. Leur escarmouche ne dura que quelques secondes : après ce temps écoulé, la guerrière baissa imperceptiblement les yeux – il sut qu’il avait gagné. Elle lâcha piteusement qu’elle aimait chasser au vieux marronnier. Satisfait, le jeune mâle gris hocha lentement la tête, un sourire heureux posé sur les babines. C’était bien la première fois qu’il était un minimum enthousiasmé par le fait de chasser, qu’il ne prenait pas cela pour une corvée, une contrainte, et que ce n’était pas un ordre direct envoyé par son lieutenant. « - Parfait alors, je te suis. Je pense que tu connais le chemin mieux que moi ! ajouta t-il avec un clin d’œil. » Je lui fis un autre sourire, la queue parcourue de décharges électriques à l’idée de courir aux côtés d’un autre guerrier. Sous mes côtés flemmards et insensibles, il y avait un côté sociable que certaines personnes, rien qu’avec leur aura, savaient faire apparaître. Et puis, je n’étais jamais contre une petite course. « - Ou alors celui qui arrive en premier ? » Étrangement, j’étais d’humeur taquine aujourd’hui.