Just the time
RP privé avec Fleur de Cannelle

Feuille d'Or, comme à son habitude, se réveilla à l'aube. Depuis qu'elle avait son apprentie, elle se réveillait plus tôt pour faire le tri des plantes. Cette nouvelle tendance ne la gênai pas au niveau du sommeil : elle dormait un peu moins mais lorsqu'elle s'endormait le soir c'était pour un repos calme et profond. Résultat : elle ne s'en portait que mieux. Le tri n'était pas très long : en général, elle demandait à son apprentie de trier chaque soir les plantes. Mais mieux valait repasser en revue le tout : un accident pouvait vite arriver : une feuille au mauvais endroit, vite prise et mélangée à d'autres de la même espèce et c'est l'empoisonnement assuré. La prudence était donc de mise. Et puis Feuille d'Or estimait que son élève n'avait pas encore appris grand chose, donc il valait mieux vérifier son travail. Dans une lune, peut-être qu'elle lui ferait confiance...

Une fois que tout était bien rangé, elle sortait dehors pour prendre l'air. Le plus souvent, la clairière était en ébullition à ce moment-là. Après avoir regardé les autres s'agiter, elle finissait par se bouger et ramenait une proie dans son antre pour Nuage de Nacre. Un bon petit-déjeuner, rien de tel pour bien commencer la journée ! Si elle n'était toujours pas réveillée, elle prévenait quelques guerriers qui n'étaient pas en patrouille qu'elle sortait, puis elle partait ramasser des plantes en attendant. C'était aussi un des avantages du tri du matin : on se souvenait avec exactitude de quoi il manquait dans la réserve. Comme ça, on pouvait réserver l'après-midi aux malades et à son élève.

En l'occurence, Nuage de Nacre s'était écroulée sur sa litière le soir même. Elle n'était donc pas encore réveillée quand Feuille d'Or se leva. Commençant avec un petit baillement le tri, elle remarqua que la jeune chatte avait mélangé feuilles de souci et feuilles de menthe. Commençant à refaire les piles, elle jeta certaines feuilles qui avaient été abîmées. Reculant un peu pour admirer son travail, elle poussa un sifflement appréciateur. La petite avait parfaitement ordonné les baies et les graines : d'habitude, elle s'emmêlait les pinceaux avec.

Marchant avec souplesse hors de son antre, la chatte au pelage roux décida de s'octroyer un peu de repos durant la matinée. Elle choisit une pie pour son élève, prévint As de Trèfle qui passait qu'elle partait pour les Hauts Plateaux et sortit rapidemment. Elle trouvait le jeune chat sympathique et lui faisait confiance. Trottinant sur tout le chemin, la guérisseuse savoura l'air frais. L'avantage au Clan du Vent, c'est que même en été on avait une douce brise qui nous rafraichissait.

La chatte n'avait pas faim, et elle ne réagit pas quand elle vit un lapin passer à toute vitesse à ses pieds. Même si elle était capable de chasser, elle le faisait rarement et préférait consacrer son temps libre à la contemplation des Etoiles ou à discuter avec les membres de son Clan. Ce n'est pas parce que l'on est guérisseur que l'on est ermite.

S'allongeant au milieu des touffes d'herbes, la féline ferma les yeux. Jamais elle n'avait eu à obéir au Clan des Etoiles. Il n'avait jamais fait appel à elle. La jeune chatte se gardait bien d'envier les chats qui en avaient eu, des visions. Le plus souvent, ce n'est jamais pour un bon présage.

Soudain, la chatte entendit un craquement. Etait-ce Nuage de Nacre qui venait à sa rencontre ?

A son plus grand regret, ce n'était pas la jeune apprentie au pelage blanc qui venait à sa rencontre avec un air joyeux et impatient de commencer la leçon. Que nenni. Jamais la chatte rousse n'avait espéré voir quelqu'un d'autre apparaître dans son champ de vision. Et elle était intimement convaincue qu'elle n'était la seule à se réjouir mollement de cette rencontre imprévue. Enfin pas si imprévue que ça car la guerrière rousse au jabot blanc et les yeux alertes n'était que sa propre soeur. Aussi improbable que cela puisse paraître, la guérisseuse se crispa. Elle en était presque à se demander si le Clan des Etoiles ne lui jouait pas un tour, un très mauvais tour d'ailleurs. Si c'était une blague, elle ne lui plaisait pas du tout.

Etrange, me diriez-vous, que deux soeurs soient aussi peu contentes de se retrouver toutes les deux. Pour certains, une telle situation n'arrivera jamais et ne risque pas d'arriver. Pour d'autres, c'est une guerre continue familliale difficile à interrompre qui devient une guerre des Cents Ans. Mais le cas ici est bien plus complexe. Car dans un Clan, les disputes s'éternisent et s'aggravent avec le temps. Repensant au temps ou elles étaient encore innocentes et se chamaillaient pour une poignée de croquettes. A l'époque, elles se réconcilliaient pas moins d'une minute après. Pourquoi fallait-il qu'avec l'âge les liens se cassent ? Pourquoi fallait-il, que telle la vie et la mort, le fil se casse et que les morts s'en aillent ?

Le corps tout entier de la guérisseuse tremblait. Elle savait qu'elle avait fait des erreurs. Elle savait qu'elle avait eu tort. Mais elle refusait d'admettre qu'elle pouvait y mettre un terme. Pour elle, c'était aux autres de faire le premier pas. Et là encore, elle hésitait à suivre le mouvement. Se mordant les lèvres au point de les rendre mabrées de blanc et de violet, elle essayait de reprendre son calme. Malheureusement ses pensées s'emballaient.

Pourquoi diable Fleur de Cannelle était venue ici, précisément ? Hein ? La chatte rousse se promit de massacrer As de Trèfle à son retour, convaincue qu'il avait dit à sa soeur ou elle se trouvait. Ou est-ce qu'elle l'avait pisté, afin de la surprendre ? Ou bien elle l'avait regardée tapie dans les buissons s'activer à l'aube et la suivre ensuite ? Pour lui rappeller encore une fois que le jour ou elle était venue pour une écharde, elle ne s'était levée qu'en grognant ?

Car c'était aussi un peu pour cela qu'elle se levait à l'aurore chaque jour. Pour se souvenir chaque matin de cette amère dispute qui avait rompu les ponts. Pour pouvoir s'enfoncer le couteau dans la plaie sans aide, pour sentir à quel point sa soeur avait mal ? Feuille d'Or n'était pas masochiste, mais elle allait finir par le devenir. A force, elle finirait par s'abîmer tant et tant qu'elle en dépérirait. Son Clan survivrait-il à la mauvaise saison avec pour unique soutien une jeune apprentie incapable de différencier baie de genièvre et baie empoisonnée ?

A l'évocation de son apprentie, la guérisseuse se rappela avec un petit serrement au coeur qu'elle devait veiller sur une plus jeune. Arriverait-elle à la traiter comme sa fille alors qu'elle était incapable de s'occuper d'une famille ? Heureusement qu'elle n'avait pas d'enfant ni compagnon, sinon les dégâts auraient été considérables...

Levant la tête vers le ciel, la chatte ne pouvait plus voir les étoiles à cause du jour, mais elle espérait que Fleur de Pas-d'Âne la regardait de là-haut. Pitié qu'elle ne fasse pas pire encore ! La garde-frontière faisait de véritables efforts pour ne pas faire demi-tour, et sa soeur le vit. Comment en étaient-elles arrivées là ?

- Bonjour Feuille d'Or !

Toujours tremblante, l'intéressée sursauta. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas entendu la voix de sa soeur s'adresser à elle. Risquant un regard vers cette dernière, elle remarqua que Fleur de Cannelle se détendait. Elle ajouta, un peu plus enjouée, espérant sûrement retrouver la même apprentie d'antan :

- Comment tu vas ?

Pendant quelques minutes, la guérisseuse se fit violence. Qu'est-ce qu'elle pouvait lui dire ? Elle savait très bien quel était son quotidien. Pourquoi lui demander ? Elle la voyait faire tous les jours, non ? Et elle avait vu la cérémonie du baptême. Mais la chatte rousse savait que son interlocutrice parlait d'autre chose.

- Bien. Je m'occupe de mon apprentie, je trie mes plantes, je soigne les petits bobos...la routine. Et toi, ça va avec ton apprenti...Nuage Silencieux ?

La chatte avait eu un mal fou à se rappeler le nom de son apprenti. Disons qu'elle ne l'avait pas vu souvent en train de se plaindre d'une blessure minime.

[Nul. Je désespère T.T]

La garde-frontière savait sûrement ce que la guérisseuse ressentait. C'était écrit. Sur son pelage, dans ses yeux, sur son visage, sur le bout de ses lèvres, de la tête jusqu'au griffes, il émanait d'elle une onde positive. Au plus grand bonheur de Fleur de Cannelle, car elle la regardait avec l'espoir au coeur qu'elle ne lui tourne pas le dos, qu'elle ne s'en aille pas... Est-ce que le passé pouvait être oublié ? Est-ce qu'elles pourraient toutes deux repartir à zéro ? Non, c'était impossible. Elles ne pouvaient pas revenir en arrière. Cependant...elles pouvaient aller de l'avant, toujours plus loin, toujours plus fort sera leur lien;

L'autre chatte ne comprenait peut-être pas pourquoi parler était si dur, si laborieux. Ce long silence avait fait perdre l'habitude de se confier à voix haute. Feuille d'Or se confiait aux étoiles et aux ancêtres, car elle savait qu'ils garderaient le silence. Elle savait qu'elle pouvait leur faire confiance dans leur mutisme éternel. Pourquoi iraient-ils révéler ses secrets à quelqu'un d'autre ? Elle était convaincue que les guerriers de jadis ne se préoccupaient pas des petites histoires sentimentales d'une gamine comme elle.

Même si elle se confiait aussi à Bouton d'Or, leurs discussions n'étaient pas les mêmes que celles que tenait l'ancienne apprentie avec sa soeur. Mais ces vieilles farces et bavardages inutiles, avaient-ils survécu à l'épreuve de la croissance et du temps ? La rouquine n'avait plus la tête à discuter de brin d'herbe touffu ou de mulot tout doux. Dans sa tête, la litanie était devenue autre : baie de genévrier, feuille de souci, graine de pavot, bile de souris et fraises des bois...

Mais l'ex-meilleure confidente avait l'air décider à renouer des liens plus forts. Encore fallait-il d'abord s'efforcer de les renouer. Avec un grand sourire et rougissant un peu, la chatte répondit avec aisance :

- Oh moi ça va. Pareil c'est la routine... Sauf certains jours. Sinon Nuage Silencieux progresse vite. Il écoute et obéit bien même si j'ai bien cru qu'il allait finir mort sur le chemin du tonnerre du premier jour...

A son tour, la jeune féline eut un sourire indulgent. Ah, les enfants, tous prêts à se jeter sous les rails et à bondir dans la gueule du loup ! Heureusement, Nuage de Nacre ne risquait pas de mourir si facilement durant les entraînements...à moins qu'elle goûte une baie empoisonnée, la malheureuse ! A cette idée, elle frissonna. Mieux valait lui apprendre rapidemment à distinguer poison et médicament, ou ce serait une grande perte pour tous, que ce soit elle ou le Clan.

- Et toi, l'apprentissage de Nuage de Nacre se passe bien ?

La chatte aux yeux verts haussa les épaules. Est-ce que cela se passait bien ? Bah pour le moment elle n'avait pas fait de bêtises, et puis elle s'entraînait à reconnaître et à trier les bonnes des mauvaises plantes. Elle savait si la plante était trop sèche ou trop humide pour être utilisée ou si elle était pourrie. Bref, le b.a.-ba. Mais cela faisait que peu de temps qu'elle avait commencé; après il faudrait passer aux choses sérieuses : s'occuper d'un blessé ou d'un malade, savoir établir le bon diagnostic. Et à la fin il faudrait qu'elle sache soigner un blessé grave, s'occuper d'un accouchement, le prévoir ou bien guérir une épidémie. Mais ce n'était pas pour tout de suite...

- Elle se débrouille bien pour l'instant, mais bon ce n'est pas encore très dur...j'espère qu'elle y arrivera aussi bien pour la suite.

La guérisseuse avait remarqué que sa soeur avait rougi en parlant de son quotidien. Avait-elle rencontré l'âme soeur ? Elle ne l'avait pas remarqué en train de babiller avec un mâle du Clan, en tout cas... Remuant lentement ses vibrisses, elle se demandait si après un si long blanc elle pouvait lui poser ce genre de question. Après avoir fait marcher ses méninges, elle décida de la taquiner un peu, comme avant.

- Mais nous ne parlons que d'apprentis et de travail. Discutons un peu d'autre chose, veux-tu ? Tu ne vas quand même pas me faire croire que tu es une accro au travail ! Que fais-tu donc de ton temps libre ? Personnelement, j'aimerais connaître ton secret pour avoir une si belle mine : moi, j'ai toujours une tête d'endormie à côté de la plaque et non pas de tendre rêveuse !

Je sentis que j'étais allée trop loin dès que je finissai ma phrase. Tous les animaux de la forêt s'étaient figés. Même le vent ne soufflait plus. L'air me semblait soudainement glacial, comme si la saison des neiges avait commencé en avance. Si je ne savais pas que nous étions encore en été, j'aurais juré avoir vu des stalactites sur les arbres. On aurait presque dit qu'il allait se mettre à neiger et que bientôt tout les Hauts Plateaux allaient être sous le manteau blanc.

Crispée, ma soeur ne dit rien pendant quelques minutes. Me mordant la langue, je pensai avoir suffisemment de contact avec ma soeur pour reprendre nos anciennes habitudes. Mais non. Etait-elle crispée aux souvenirs de l'ancien temps ou parce qu'elle essayait de me cacher quelque chose ? L'oeil brillant, ma curiosité fut piquée. Elle n'allait quand même pas me dire qu'elle ne pensait qu'à son apprenti, si ?

La chatte rousse planta ses griffes dans le sol meuble. Etais-je donc sur le point de dévoiler un de ses secrets au grand jour ? C'est simple pourtant : quand on pressent un secret, il suffit de faire un sous-entendu et de regarder attentivement son interlocuteur. Or là je n'avais rien pressenti, et je me retrouvais face à une réaction typique d'un renard qui s'aperçoit qu'on est sur le point de trouver son terrier.

Retenant mon souffle, j'entendis la réponse de ma soeur comme dans un rêve, la voyant sourire encore plus et parler d'une voix douce. Mais tout cela sonnait faux.

"Et bien c'est sûrement le fait de me rendre utile. Déjà l'entrainement de Nuage Silencieux me fait du bien. Je vois vraiment à quoi je sers quand je vois les progrets de mon apprenti. Et puis je vais toujours dans des endroits bien ensoleillés lors de mes temps libres et j'y pique un petit somme c'est pour ça que je n'aie pas l'air fatigué."

Aha ? Fleur de Cannelle, faire la sieste ? Mouais. Je me doutais qu'il y avait anguille sous la roche, mais comment réussir à lui tirer les vers du nezs alors que je ne savais même pas ou était le mensonge ? Autant en rester là. De toute manière, je savais qu'un jour ou l'autre, son secret serait découvert. On finit toujours par se trahir, et elle venait de le prouver...

Tentant vainement d'orienter la conversation sur un terrain plus stable, ma soeur demanda :

"Et toi ça va mieux tes problèmes de sommeil ? Je sais que ça doit être fatiguant mais est ce que tu arrives à prendre le rythme ?"

Hein ? Des problèmes de sommeil ? Que nenni...il n'y a que les accouchements qui fatiguent. Les reines se débrouillent toujours pour mettre bas en pleine nuit ou au lever du soleil. Pourquoi aucune d'entre elles n'essaie de contrôler ses contractions jusqu'à une heure raisonnable ? Et puis ces gamins, ils pourraient pas réfléchir et penser à attendre un peu ? On peut pas être sur tous les fronts, nous...il y a des fois ou je me dis que les ovaires des félines venteuses ont tendance à produire des ovules particulièrement lève-tôt.

A vrai dire, la façon dont j'organisai mes journées me permettaient de souffler suffisamment pour consacrer du temps à mes malades, mon apprentie et à moi. Je me levai à l'aube, je mangeai, je me baladai le matin et réparait les blessures du moment. Ensuite je passai l'après-midi entre mon apprentie et les nouveaux malades du soir. Enfin, quand tout semblait calme au camp, je sortais un peu et me reposai avant de revenir à ma tanière, planifier les actions du lendemain avant de me coucher.

Je répondis en haussant les épaules :

- Vu que je suis la seule guérisseuse à part entière du Clan, je n'ai plus à répondre aux ordres de quiconque. J'organise ma journée en fonction de mon humeur et de ma condition physique, du coup si je suis trop fiévreuse pour faire mon devoir, je confie les petits bobos à mon apprentie, je soigne les blessés graves s'il y en a et je passe ma journée en cueillette. Sinon, si nous avons ce qu'il faut ou que je ne trouve rien, je vais voir les reines et je leur tiens compagnie. Bref, tu l'auras compris, j'arrive largement à me débrouiller avec mon emploi du temps. Le seul inconvénient c'est les accouchements, impossible de les prévoir à l'avance, du moins pas au jour près. Encore, j'arrive à connaître la semaine, mais le jour pile...j'en suis incapable !

Puis j'ajoutai en riant :

- Enfin j'imagine que tu dois pas être très au courant pour ce genre de choses, si ?
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Je sentis que ma soeur était amusée par la situation. Il est vrai que si nous nous étions disputées, c'était précisemment à cause d'une histoire de sommeil, de temps (et d'argent /MUR/) et de moral...si seulement dès le début j'avais réussi à m'organiser correctement, tout cela ne serait jamais arrivé. Enfin à l'époque mon apprentie n'était pas là pour m'épauler, et je n'osai pas demander aux guerriers de m'aider, pas plus qu'aux apprentis. Ils n'étaient jamais là, toujours en patrouille, jamais disponibles pour quelque chose en-dehors de leur 'programme'... Ah, ces guerriers ! Quant aux gardes-frontières, toujours dehors, jamais à l'intérieur (sauf la nuit bien sûr). Bref...

La rouquine se crispa à nouveau. Avait-elle pris cela comme une pique ? Mes yeux s'agrandirent : si quand je lui parlais d'accouchements, elle s'énervait...mais je stoppai aussitôt dans cette piste : nous avions beau avoir perdu en confiance, si elle était pleine, elle me l'aurait dit non ? Tentant d'effacer cette seconde de gêne de ma mémoire, je ne puis point : gravée, son expression farouche restait encrée dans mon cerveau, refusant de s'en aller. Va-t-en, hop hop ! Mais non, l'image refusait net de bouger.

Lorsque qu'elle prit la parole, la garde-frontière prit un ton hautain, presque crâneur. Comme si elle essayait de relancer ce qu'elle prenait pour une pique. Et moi qui voulait simplement la taquiner un peu ! Je laissai échapper un petit soupir. Décidemment, il y avait encore de gros progrès à faire des deux côtés pour faire régner une entente amicale...

Je me doute que ce ne doit pas être très évident. C'est vrai que ça doit tomber comme ça d'un seul coup... Mais sinon je ne suis pas guérisseuse, je ne sais pas comment ça se passe.

Une fois sa réplique déclamée, Fleur de Cannelle se détendit. Manifestement elle avait réussi à faire ce qu'elle voulait. Allait-elle redévier la conversation vers des eaux plus calmes ? Je l'espérai de tout mon coeur. Même si au départ je n'étais pas spécialement enchantée de la croiser, je voulais à présent renouer notre amitié perdue. Une nouvelle dispute, non merci ! Cela, je désirai l'éviter à tout prix. Mais si elle me taquinait seulement un peu, je ne prendrai pas mal.

D'ailleurs, elle ajouta sciemment, un brin farceuse :

Et bien tu dois être plus agréable à réveiller qu'avant.

J'eus un sourire penaud. Elle n'avait pas tort. Regardant ailleurs en remuant la queue comme une apprentie rougissante devant un vétéran qui lui rappelle sa bêtise, j'émis un petit miaulement de chien battu. Je devais avoir l'air d'une gamine prise sur le fait, faisant les yeux doux pour faire passer !

Et tu penses que Zeste de Citron et Fleur de Mimosa vont mettre bas quand environ ? J'espère que tout ce passera comme prévu.

Contente que ma soeur s'intéresse à mon quotidien, je réfléchis rapidemment. A priori, c'était pour bientôt mais pour ne pas effarer la jeune mère, j'avais prétendu que ce serait la lune suivante. Il vaut mieux être prévenant avec ses malades, cela évite des crises cardiaques involontaires...je savais que Fleur de Mimosa n'était pas du genre à s'inquièter, mais les reines deviennent toujours imprévisibles lors des mises-bas. Du coup, je me mettais sur mes gardes et racontai n'importe quoi, tout en donnant des remèdes de plus en plus forts (à leur insu). Seules les reines chevronnées -comme Etoile de Rose, par exemple- ne s'inquiètaient pas outre-mesure et restaient calmes, du moins en apparence. Seul Coeur de Dragon était donc au courant. Quant à Zeste de Citron, je l'avais prévenue qu'elle allait bientôt accoucher car elle avait déjà l'expérience de ses petits frères et soeurs, Nuage de Nacre, Nuage de Joie et Nuage d'Argent. Malgré cela, elle n'en faisait qu'à sa tête car elle sortait tout le temps. Elle allait sûremment accoucher sans moi, aventureuse qu'elle était...

- Oh, très bientôt, cela ne saurait tarder. Mais ne le dis pas à Fleur de Mimosa, cela risquerait de la stresser. Je préfère qu'elle ne l'apprenne qu'au jour J, comme cela elle n'aura pas le temps de réfléchir et de faire les choses mal. De toute manière, je serais là. Quant à Zeste de Citron, cela m'arrangerait grandement qu'elle cesse de quitter la Pouponnière pour un oui ou pour un non, sinon je risque de ne pas pouvoir l'aider.

Levant les yeux vers le ciel, je me rendis compte que le temps passait. Mon apprentie avait sûremment dû me chercher et m'avait peut-être pas vue, ou n'avait peut-être pas osé interrompre ces retrouvailles... Me mordant la langue, j'ajoutai précipitemment :

- Je crois que je vais devoir y aller, sinon Nuage de Nacre va se faire un sang d'encre ! J'imagine que As de Trèfle a du oublier de lui dire de me rejoindre ici... Allez, je file ! Bonne journée !

Aussitôt je fis volte-face et me précipitai en direction du camp. Bien plus tard, à la fin de la journée, une question me taraudait toujours. Certes, la féline s'était montrée amicale et nous avions réussi à repartir sur de bases solides, mais quel secret me cachait-elle donc derrière tant de rancoeur ?