" Hypocrisie, scéance de drague & vengeance manifeste. Les femelles sont vraiment impitoyables. "

De nombreuses études scientifiques prouvent que le malaxage de la terre meuble ou humide, d'un bout de nourriture comme le pain ou la chair d'une proie ou bien d'un morceau de bois (ou encore une balle) apaise l'anxiété, le stress et stoppe ses effets malvenus. En effet, l'action de presser ou de malaxer quelque chose avec les pattes -avants ou arrières d'ailleurs- évacue la tension musculaire causée par le stress, ce qui fait que selon ces études, le fait d'évacuer la conséquence évacue la cause. Accessoirement, cela peut-être utilisé en tant que griffoir potentiel.

Cependant, Nuage de Joie était convaincue que ces scientifiques se payaient sa tête ou s'étaient grossièrement trompés. En tout cas, malaxer rageusement avec irritation et agacement la terre noire meuble du camp ne lui apportait aucun réconfort, pas plus que griffer les parois de la caverne des apprentis. Raide comme un bâton de bois, elle attendait dans la file des guerriers pour demander à Plume d'Orage quelle serait sa mission du jour : s'incruster dans la patrouille de l'aube ou passer la matiner à chasser en solo ? A moins qu'elle ne doive s'occuper des Anciens et de leurs tiques ? En tout cas, pas question d'un entraînement avec As de Trèfle. Elle faisait tout pour l'éviter et ferait tout pour ne pas se retrouver en tête-à-tête avec lui. Elle avait bien trop peur.

L'agitation habituelle du matin s'était dissipée, maintenant que Plume d'Orage venait d'envoyer quatre guerriers pour la patrouille de l'aube. A présent, les autres candidats savaient qu'ils n'auraient de mission à accomplir que plus tard dans la journée, rien ne pressait donc puisqu'ils seraient à coup sûr de corvée de chasse. Les gardes-frontière, quant à eux, avaient déjà disparu pour surveiller les remparts. Maussade, la féline observa les chatons sauter en essayant d'attraper une feuille morte qui était en train de tomber. Qu'il était loin, le temps ou elle ne se souciait de rien, sauf de capturer un pauvre papillon qui passait là par mégarde...

Quant ce fut son tour, le lieutenant tigré l'envoya aussitôt chasser, chose qui n'étonna pas la brunette. Avec les temps froids, il y avait de moins en moins de gibier, le but étant d'en attraper le plus possible avant qu'ils ne se réfugient dans leurs trous pour hiberner. Si les chats engraissaient suffisement maintenant, inutile de se remuer les mois prochains, ils pourraient eux aussi dormir jusqu'au printemps...mais cela était impossible.

Sortant du camp, la novice alla vers les grands plateaux, immense terrain de cachettes pour les lapins, immense terrain de chasse pour les félins... Se déplaçant face au vent pour que les proies ne puissent sentir son odeur, elle parcourut bien du chemin avant de trouver une petite famille en plein festin. Se précipitant aussitôt, elle n'eut pas de mal à tuer la mère, trop occupée par ses enfants, et du même coup elle attrapa les laperaux. Les gardant entre ses griffes sans les tuer, elle attendit... Elle n'eut pas à patienter longtemps car déjà, le père pointait le bout de son museau agité, voulant savoir s'il pouvait sauver sa progéniture. Il ne put tergiverser longtemps puisque d'un coup de patte, Nuage de Joie lui coupa l'artère. Les enfants s'enfuirent, terrifiés. De futurs repas au printemps... Enterrant ses deux proies, elle tua encore un troisième lapin plus loin. Estimant que c'était suffisant, elle revint avec la marchandise. Un coup d'oeil appréciateur des vétérans lui valut des sifflements d'admiration. Il n'était pas toujours facile de débusquer des proies. Les Anciens et les reines ayant déjà eu leur part, elle livra un lapin à la guérisseuse et à sa soeur Nuage de Nacre. La remerciant d'un signe de tête, Feuille d'Or retourna à son malade, Valse de Minuit. Pauvre gars... Atteint du mal vert, il avait peu de chance de survivre. Heureusement que Lac des Cygnes, l'ancien ombreux, était là pour redonner du san neuf aux troupes; même si Nuage de Joie voyait d'un très mauvais oeil cet inconnu, elle était bien obligée de reconnaître qu'il tombait à pic.

Se couchant devant la pile de gibier, l'apprentie s'étira et choisit une souris estropiée. Celui qui l'avait attrapé avait dû se tordre de rire en voyant la façon dont elle se déplaçait. Une ombre se profila sur son futur repas. Levant la tête, elle reconnut Plume du Tyran, le frère du lieutenant. Se décalant pour lui laisser une place, elle entama la conversation, tout à fait consciente que As de Trèfle discutait à deux pas avec un garde-frontière ; l'oeil brillant, une idée se forgea dans sa tête :

- Bonjour, Plume du Tyran. La chasse était bonne, ce matin ?

Qui n'a jamais ressentit la jalousie ? Franchement, qui peut se vanter de ne jamais avoir voulu le bonheur qu'ont les autres ? Qui n'a jamais été fou, malade de voir tout le monde préférer quelqu'un à lui ? Le pire est sûrement lorsque ce quelqu'un est celui que vous aimez plus que tout au monde, car malgré cette putain de jalousie, de folie, de maladie, vous êtes incapable de le haïr, alors contre qui passer toute cette colère si ce n'est vous-même ?
Plume de Tyran se reposait dans l'herbe gelée, ressassant ces petites phrases dans sa tête. Il s'était pourtant dit qu'il n'était plus un gamin, qu'il passait au-dessus de tout ça, qu'il pouvait changer et que cela n'appartenait qu'à lui. Il se résigna finalement à se relever, observant la lande autour de lui. Il était sortit dehors à l'aube et s'était posé pas loin du camp. Il avait dormit un peu, puis s'était réveillé et, comme d'habitude, était resté seul avec ses pensées. Refouler sa colère devenait une habitude maintenant, et il avait enfin réussit à détester son frère. Sauf que le mal était déjà fait, le grand chat brun se haïssait déjà lui-même. La seule vengeance qu'il trouvait était de rester en vie, continuer, survivre, encaisser sans rien dire. Et bien faire chier le monde. La fourrure hérissée sur ses épaules, il s'étira, plantant ses petites griffes cassées dans l'herbe. Il se mit à marcher en quête d'une éventuelle proie, peu désireux de rentrer maintenant. Arrivant près d'une haie, il entendit un petit bruissement dans un buisson et il sentit une odeur de rongeur. J'vais la choper la coquinou ! Bondissant dans l'arbuste, il repéra la souris à l'odeur et la prit entre ses mâchoires. Il ressortit, et, sentant qu'elle gigotait encore, il l'acheva, adressa une prière muette et vite faite au Clan des Etoiles et s'assit. Son coeur battait assez vite, ce qui le déstabilisait un peu. Le Clan des Etoiles, tiens donc. Il s'était pas cassé la nénette quand il avait choisit son destin. "Plume de Tyran... Ahah, lui, il va passer sa vie à vivre dans l'ombre de son frère, et il va se demander tous les jours pourquoi il existe, ouais c'est bien ça ! : D" Remuant les moustaches, le matou se redressa et se dirigea vers le camp, car il commençait à avoir faim. Il ne trouva pas le chemin trop long, pour une fois, et une fois arrivé il alla déposer sa souris sur le tas de gibier. Alors qu'il se baissait il entendit Nuage de Joie qui lui parlait. C'était plutôt rare que quelqu'un engage la conversation avec lui, certainement parce qu'il s'efforçait de se montrer sauvage et que tout le monde le savait renfermé sur lui-même. Troublé, il reprit la même souris, puis la reposa, se rendant compte qu'il avait du avoir l'air bien con. Puis, se rendant compte qu'il ne restait plus que des oiseaux et des lapins beaucoup trop gros pour lui, il dut se résigner à reprendre la souris, se sentant rougir. Mal à l'aise, il s'assit à côté, les poils de ses épaules encore hérissés.


_ Tiens, salut Nuage de Joie. Euh, la chasse, bah bof, je n'ai attrapé qu'une souris. Et toi...?

C'était pas son genre du tout de faire le timide, mais il avait été pris par surprise et avait perdu son sang-froid. Il se concentra sur sa souris qu'il se mit à manger, les battements de son coeur se calmants peu à peu.

Le mâle fut très troublé par l'apostrophe de Nuage de Joie. Etait-il seulement habitué à cxe que l'on lui parle ? Pas sûr. En général, personne n'adressait la parole au frère du fier lieutenant tigré. Le premier était dans l'ombre, le deuxième dans la lumière ; le premier était inutile aux yeux de beaucoup de félins, le deuxième était indispensable au bon fonctionnement. Et lorsqu'on lui parlait, c'était pour lui faire des reproches, pas pour discuter. Qui donc était suffisemment fou pour entamer une conversatio, avec le barbare Plume du Tyran, dont même le nom était agressif ? Nuage de Joie, évidemment.

Mais si la belle apprentie voulait discuter avec le chat beige, c'était pour accomplir sa vengeance. Jamais elle n'avait été si machiavélique et cruelle. Mais elle s'autorisait à présent tous les coups bas possibles afin de parvenir à ses fins. Son côté sombre se réveillait enfin, se révélant dans toute sa splendeur. Au fond, elle avait hérité du caractère diabolique de son père. Carmen entrait en scène...

Le garde-frontière reprit sa souris, puis la reposa à nouveau, puis la reprit. Décidément, la beauté de la demoiselle opérait à une vitesse foudroyante. Rougissant, il avait encore les poils hérissés par l'émotion. Satisfaite de son effet, elle continuait de grignoter sa proie en le regardant manger sa souris, l'écoutant d'une oreille attentive :

_ Tiens, salut Nuage de Joie. Euh, la chasse, bah bof, je n'ai attrapé qu'une souris. Et toi...?

Un sourire charmeur se dessina sur les lèvres de la femelle, tandis qu'elle se rapprochait inexorablement du matou, ne jetant même pas un regard à As de Trèfle qui discutait. Son plan roulait comme un chaton sur la glace ! Inutile de se vanter en racontant qu'elle avait réussi à impressioner les guerriers par ses trophées de chasse, mieux valait mentir et mettre en valeur les qualités du chat beige.

- Oh, ce n'était pas fameux non plus... Je n'ai attrapé que la souris estropiée que tu vois là ! répondit-elle en grimaçant. De toute façon, je suis toujours nulle partout ! Je suis sûre que tu me bats en chasse et en combat ! roucoula-t-elle.

[No problemo !]