Parce que l'Amour est une tendre prison...

Je trembla. Dans mon rêve, je me voyais me tordre de douleur, et je voyais le Clan des Etoiles gronder et me regarder d'un air méprisant. Je les suppliai d'arrêter le supplice mais ils refusaient... Mon ventre me faisait de plus en plus mal et j'avais l'impression de mourir. Je griffai le sol et hurlai. Fève de Cacao arrivait en courant et disait "Que ce passe-t-il ?" et le Clan des Etoiles répondait d'une seule voix : "C'est le début d'une nouvelle vie...". Il me regardait d'un air ébahi quand...

Je me réveilla en sursaut. Quel rêve étrange... La douleur au ventre restait bien là. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis l'Assemblée, et je passai à présent mes nuits dans l'attente d'aller séjourner à la Pouponnière. Au début, comme Poussière du Ciel était encore choquée et Etoile du Lac furibond, personne ne remarqua que j'étais de plus en plus occupée à rester assise, incapable de chasser. Et puis on avait fini par s'intérresser à mon cas et à me couvrir de questions. Evidemment, la fatidique demande "Qui est le père ?" fut posée et je refusa de répondre, bien entendu. Pas question que Fève de Cacao soit exilé par une erreur de ma part, ou je me serais tuée de chagrin et de dépit. Dites ce que vous voulez, mais ma soeur a bien eu des chatons avant de devenir guérisseuse, elle ! Alors pourquoi n'aurais-je pas le droit de vivre le bonheur d'être mère et Fève de Cacao le bonheur d'être père ? Non mais !

Me raidissant un peu, les pattes anykosées par le froid, j'essaya de me lever sans succès. Quelle douleur ! On aurait dit que la Toison Argentée avait décidé de me détruire les entrailles. Ouille ! Arrivée en position assise, non sans avoir poussé maints gémissements, je regarda d'un oeil endormi les environs, c'est à dire le plafond du repaire des guerriers et ma litière. Spectacle qui ne me lassait pas, et heureusement sinon qu'aurais-je fait de mes journées ? Je contempla donc ma litière. Aplatie sous mon poids, elle était constitué de mousse déjà verte malgré la saison et de feuilles mortes, faute d'assez de mousse et de terre. C'était les apprentis qui m'avaient aidé à faire mon petit nid douillet, car mon ventre était devenu é-n-o-r-m-e. Sans exagérer, je devais faire le poids de trois vétérans aguerris et musclés. Enfin la différence étant que j'étais grosse à cause de mes chatons et non pas à cause de ma masse de muscles. Entre nous, je préfère tout de même la première solution : si ç'avait été des muscles j'aurais dû me les traîner jusqu'à la fin de ma vie et je préfère franchement être libre de mes mouvements qu'être obligée à rester couchée à ne rien faire.

La seule chose dans tout ça, c'est que cela commençait à vraiment me faire TRES mal au ventre et je me doutais ce que cela voulait dire : je devais dans les jours à suivre passer ma vie à la Pouponnière. J'estimais -enfin vu que je n'étais pas encore très expérimentée dans le domaine- que ce n'était pas encore pour aujourd'hui la naissance de ma portée, mais vu la présentation des choses, mieux valait donc prendre les précautions nécessaires. Je me leva avec précaution -oui j'avais réussi !- et vérifia que personne n'était dans le camp. Il n'y avait que quelques Anciens, les autres étaient en patrouille ou en chasse. Bien...

Je me dirigea, déjà essoufflée, vers la Caverne du Guérisseur. Me faufilant avec peine parmi les plantes, herbes, et baies -plus des sortes de concoctions- j'arriva au milieu de la grotte. Cherchant du regard mon bien-aimé, je voulais lui annoncer que la venue des chatons était proche. Il ne savait pas encore que j'étais enceinte, car il n'avait pas vraiment le temps de discuter avec moi depuis l'Assemblée, et les autres chats n'avaient pas estimé intelligent de le mettre au courant : en même temps vu que ils ne savaient pas qui était le père, pourquoi l'auraient-ils fait ?

Je m'assis en plein milieu de la Caverne, attendant son retour. J'espérais qu'il ne reviendrai pas avec Tache de Lumière : mieux valait que seulement nous deux sachions qui était le père biologique... On ne savait jamais.

...et que le Bonheur n'a pas de mots.

Je n'eus pas à attendre longtemps. Très vite, j'entendis le bruit de pas caractéristique d'un félin ; sachant que personne ne devait revenir au camp avant midi, j'estima avec intelligence que c'était sûremment le signe de l'arrivée de mon compagnon. Frémissante de douleur et d'impatience (car malgré tout j'avais toujours suffisament mal pour éclater en sanglots, ce que je ne fis pas bien sûr : je suis tout de même plus résistante que ça, non mais !), je guetta la fourrure roux foncé qui allait apparâtre, j'en étais sûre, très bientôt.

En réalité je ne vis qu'une reine passer, rattrapant un petit qui allait s'approcher un peu trop de l'Antre du Guérisseur. Je pensa, dans un sourire invisible, que bientôt moi aussi je devrais vérifier que mes petits ne s'approchent pas des plantes bizarres qui étaient entreposées là. Entre les baies empoisonnées et les graines de pavot qui, en trop grande quantité pouvaient faire tomber un chaton dans un sommeil inréversible, on devait en étant reine faire très attention. Ce que cela devait être fatiguant...

Mais je fus interrompue dans mes pensées par cette fois-ci le bon Fève de Cacao. Marchant lentement, je ne l'avais pas vu venir. Je me tourna vers lui, rayonnante de bonheur malgré le fait que je ne savais pas comment lui annoncer la bonne nouvelle. Fallait-il que je fasse durer le suspense ou que je le lui dise de bout en blanc ?

Il avait l'air un peu souffrant et tenait dans sa gueule une immense botte de plantes, du moins assez conséquente selon moi mais il n'en avait pas l'air satisfait. Je ne savais pas comment il s'était débrouillé pour revenir sans Tache de Lumière, mais je n'en avais cure : une affaire bien plus importante à mes yeux se déroulait plus vite que je ne le pensais. Manifestement inquiet pour moi, Fève de Cacao me demanda :

« Lait de Palme, bonjour j'espère que tu ne viens pas parce que tu as mal? Tiens en parlant de mal je reviens attends juste deux secondes si ça ne te déranges pas... »

Je souris un peu. C'était en partie parce que j'avais mal que je venais le voir, puisque c'était la cerise sur le gâteau qui m'avait alertée. Enfin, il n'y avait pas que cela mais c'était drôlement bien lié ! Je l'observa d'un air absent prendre deux graines de pavot (c'était donc pour cela qu'il était revenu au camp...Tout s'explique !) puis il revient vers moi et me lécha la joue. Je ronronna de plaisir : cela faisait longtemps que je n'y avais pas eu le droit, puisque notre relation était secrète. Pourtant nous étions du même Clan et il fallait que nous jouions la comédie ! Ah...

« Alors qui a-t-il? J'espère que ce n'est rien de grave »

J'avais bien envie de le faire languir, juste pour m'amuser et gémir pour de bon en lui expliquant mon mal mais j'avais envie également de sauter dans ses pattes (ou bras si ça vous chante) en lui annonçant ce qui nous attendait. J'hésitais encore entre les deux propositions, mais il plongea son regard dans mes yeux et je me sentis fondre. J'étais à présent incapable de ménager le suspense, je me décida à lui expliquer la vérité :

"Hé bien, cela fait plusieurs jours que je voulais te parler, depuis l'Assemblée même. Mais tu étais tout le temps occupé et je ne trouvais pas la moindre occasion de te parler. Et ce matin, mon ventre me faisait tellement mal que j'ai fini par me lever pour venir te voir..."

Ce que je voulais lui dire était au bout de ma langue. Juste une seule phrase, et il serait au courant. Juste une seule, et il serait au bord du bonheur. Du moins je l'espérais; et si il ne voulait pas de ces chatons ? Cette opportunité m'écrasa, car je n'y avais pas pensé. Je me repris aussitôt : c'était impossible, ces chatons il les voulait autant que moi. De nouveau les yeux brillants, je laissa échapper dans un sanglot, car sur mon visage ruisselait à présent des miliers de larmes de joie, cette vague de bonheur m'avait fait craquer complétement et c'est donc entre deux sanglots de bonheur que je cria presque :

"Parce que on va avoir des bébés !!!!"

Une nouvelle vie commence.

Fève de Cacao se figea, et ses yeux s'écarquillèrent et devinrent graaand comme mon ventre : il me regarda d'un air tellement ébahi que je gloussa de rire comme une petite apprentie à qui un grand lui a avoué sa flamme. Ce que cela me faisait du bien, tout ça ! Les joues encores rosies par la nouvelle devinrent carrément rose bonbon lorsqu'il s'écria :

« Des chatons? Des Chatons?! YOUHOUUU!! Je vais être père! »

Débordante de joie qu'il soit aussi ravi que moi par la nouvelle, j'eus une petite idée à quoi je ressemblai à l'instant même : on aurait dit que mon compagnon avait été illuminé par l'aura de je ne sais quel esprit bénéfique : enfin cet esprit bénéfique devait être mes chatons, j'imagine... Ou du moins je l'espérai.

Ahhh pour le coup j'avais envie de faire comme mes parents : "Faites la paix et aimez-vous tous autant que vous êtes ! L'amour est votre force.".
Le problème c'est que la vie ne marche pas comme ça. Il y a bien des moments heureux, comme quand on annonce des bonnes nouvelles mais surtout des mauvais moments, malheureusement... Enfin ne soyons pas trop pessimistes ! Surtout que franchement j'étais plus qu'heureuse alors arrêtez de gâcher ce souvenir =O

Donc, Fève de Cacao se blotti contre moi en ronronnant de plus belle -on aurait dû construire une chorale, ça sonnait très bien nos ronronnements unis-, pour mon plus grand bonheur et je frottai ma tête contre son épaule, toute heureuse. J'avais envie de me frotter partout, contre les parois de la grotte ardoise jusqu'au Promontoire ! Hé oui, on est comme ça les chattes quand on a trop de bonheur dans le vase... On en devient folle !

« Depuis combien de temps le sais-tu? »

Je me tournai vers lui, étonnée : pourquoi voulait-il savoir cela ? Je réfléchissa à sa question : j'avais grossi à peu près quelques jours avant l'Assemblée, ce qui faisait euh vu que l'Assemblée datait de plusieurs jours, je m'en doutais depuis...une semaine ? Oui, ça devait être ça. Et entre temps je ne m'en étais pas aperçue ? Hé ben... Je me rendais même pas compte que je grossissais !

"Depuis une semaine environ, c'est à dire à partir du moment ou je me suis aperçue que mon ventre était énorme. Et puis ce matin, quand j'ai senti cette douleur au ventre, je me suis dit que mes doutes étaient bien fondés...
Ce qui veut dire qu'ils vont bientôt naître ! "

Je me jettai littéralement à nouveau dans les pattes de mon âme soeur, à son grand dam, d'ailleurs x) Je ressemblais de plus en plus à une apprentie surexitée de devenir guerrière, même si là l'enjeu était quand même comment dire un peu plus important, du moins selon moi. J'allais passer reine ! Au nom du Clan des Etoiles, comment diable cela allait-il se passer ? Allais-je faire ? J'aurais dû demander aux autres reines, ou à Poussière du Ciel, elle avait eu des chatons... Je pétrissais le sol de mes pattes, en proie au stress. Mais le temps ne me laissa pas le loisir de rester là, à m'exiter toute seule. En effet, j'entendis une patrouille rentrer, et je n'avais pas très envie que ni Tache de Lumière, ni un autre chat ne nous surprenne en pleine démonstration d'affection. Je léchai donc l'épaule de Fève de Cacao avant de murmurer :

"Débrouille-toi pour passer de temps en temps à la Pouponnière... "

Et je filai, du moins si trotter le plus vite possible avec un ventre rasant le sol pouver s'appeler courir ou filer, évidemment. Les guerriers ne me virent pas sortir, seule Tache de Lumière sembla le remarquer mais bon, que voulez-vous... Ce n'était pas si grave ! Je me dirigea donc confiante vers la Pouponnière, et bientôt on m'aida à me refaire une litière et on me rendit visite. J'étais tellement heureuse ! Je réfléchissais aux noms des petits : Patte de Lavande me plaisait, ainsi que Patte de Karité. Mais vu que je n'aurais pas que deux bébés, il fallait que je réfléchisse à d'autres... En fin vous saurez très bientôt quels noms j'aurai choisi