Nuage d'Or

Un frisson m'élança. Mes yeux brillèrent dans la pénombre de la tanière. En me levant, je sentis avec plaisir l'odeur des baies et des feuilles séchées. C'est le coeur bondissant que j'examina ma nouvelle maison. Cela faisait quelques temps que j'étais devenue apprentie guérisseuse...

Mes pensées furent éclairées d'un rayon de soleil en entendant ce mot dans ma tête. "Apprentie-guérisseuse". Tout le monde rêvait d'être lieutenant, puis chef. Je n'étais qu'apprentie. Mais je deviendrai "guérisseuse". N'est-ce pas bien plus important ? J'avais un but, oui, j'en avais un. Guérir, comprendre, annoncer. Plus précisément, je voulais faire rayonner mon aura autour de moi.

Le printemps arrivait en sautillant. J'étais née au milieu de la saison des feuilles mortes, quand les feuilles deviennent marron et tombent en tourbillonant. Cela m'avait fascinée depuis toute petite, le spectacle de la vie. Mais j'avais grandi et l'hiver avait commencé.

Les flocons qui tombent aussi, le manteau blanc de neige recouvrant le sol en donnant une athmosphère féérique, cela aussi je le connaissai. Cela aussi, j'en avais été folle dingue. Ebahie devant un tel phénomène, on peut le dire. Et c'est dans le froid que ma mère m'avait conté les histoires que racontaient les chats voisins. Les histoires magiques avec des morts renaissant dans une vie après la mort.

Et puis à présent, j'étais allée dans la forêt, dans un Clan. Dans un endroit tout aussi magique que mon enfance tourmentée par les Bipèdes. Mon enfance n'est pas finie, certes. Il n'empêche pas que j'ai perdu mon innocence. J'ai gagné de la maturité, mais je ne suis pas adulte. Je ne le serai jamais, enfin j'espère. La perspective d'être adulte me fait peur, je crois. C'est peut-être pour ça que je me suis dit qu'en devenant guérisseuse, j'échapperai au cycle de la vie en ne devenant pas maman.

Je crois que je me fais des illusions. Tout cela ne changera rien. Il faut vivre le présent, c'est tout. Et c'est dans cette optique que je sortis dehors, un grand sourire au lèvres. Fleur de Pas-d'Ane était déjà sortie, sa couche était froide. Le soleil m'irradia de ses rayons bienfaisants et je me sentis prête pour une nouvelle journée. Je ne mangea même pas : trop impatiente pour cela, je sortis rapidement du camp.

En me guidant de mon odorat, je suivis le chemin qu'avait pris quelque peu avant ma mentor. Elle m'avait dit de la rejoindre à l'orée du bois, et j'estimai ne pas encore connaître assez bien le territoire pour y aller de but en blanc. Et puis les jeux de pistes m'amusaient, même si je ne devais pas devenir guerrière.

Je la découvris là ou elle m'avait donné rendez-vous, exactement à l'endroit décrit. Posée et calme, elle m'attendait un petit sourire aux lèvres. Je ne la connaissais pas très bien, mais une rumeur disait qu'elle avait une soeur dans le Clan de l'Ombre et un frère dans le Clan de la Rivière. Je savais aussi qu'elle avait eu des petits avant de devenir guérisseuse. Elle devait avoir une longue histoire...

Enfin je vous parle pas beaucoup du présent. Revenons donc à cela. J'étais très impatiente de tout savoir, et c'est donc avec un milion d'autre de questions à poser sur la langue que je demanda les yeux scintillants :

- Par quoi on commence ?

Nuage d'Or

Fleur de Pas-d'Âne eut l'air amusée par ma question. Elle devait certainement s'y attendre, car tous les apprentis sont impatients lors de leurs premiers entraînements. Il n'empêche que elle n'avait pas eu d'apprenti avant moi, donc elle devait sûrement être excitée, non ? En tout cas elle restait parfaitement maître de ses émotions et n'y laissait rien voir.

Je me demandais ce qu'elle me réservait. Sûremment de la théorie pour commencer, mais après ? Je m'imaginai déjà sauvant des chats lors d'une bataille décisive, ou en train d'aider une chatte à mettre bas... De toute façon l'important, comme je l'ai déjà dit, c'est le présent. Près de nous passèrent des proies qui paraissaient savoir que nous n'allions pas les attraper. Je n'y faisais pas attention et n'avais d'yeux que pour ma mentor.

Calme et posée, elle me répondit doucement, comme à un chaton turbulent qu'il faut apprendre à maîtriser. Sa voix chaude me berçait presque. Ce que j'aurais aimé l'avoir comme mère ! Enfin j'aime bien Kestrel, mais je ne la vois quasiment plus... Ma mère, dernier rempart de famille, en omettant Nuage de Silex et Nuage de Canelle.

- Bonjour Nuage d'Or. Nous allons commencer par les differentes plantes que tu peux trouver dans la forêt. Tu es prête ?

Je hocha la tête, les yeux remplis de lumière éclatante. La bouche entre ouverte, j'attendis la suite après avoir répondu d'une voix semblable au clairion :

- Oui !

[Moi aussi ^^]

Nuage d'Or

La guérisseuse sourit, amusée par mon "Oui" criant, sortant droit de mon cœur encore jeune et frais. Aurais-je fais un peu trop part de mon enthousiasme débordant en cette belle matinée ? Trouvait-elle que je m'excitais un peu trop pour si peu ? J'essayais en vain de me calmer, mais mon côté surchauffé reprit le dessus, trop content que je sois du même avis que lui. Mon mentor se dirigeant vers la forêt sombre, je fis de même, admirant les feuilles luxuriantes en ce beau temps de début des Feuilles Nouvelles. Hé oui, je connaissais mes saisons, pas si bête la guêpe !

De loin, la forêt semblait glacée et ténébreuse, mais il n’en était rien. Les arbres laissaient passer des minces rayons de soleil, une douce brise me caressant l'échine. Je fis le dos rond, délicieusement relaxée par le soleil frôlant ma fourrure chaude. Le couvert des arbres donnait une sensation de fraîcheur, qui était la bienvenue par cette journée semblable à l’été.

Observant la moindre écorce, je mémorisai au plus profond de ma mémoire chaque odeur, chaque plante. L’herbe verte poussait dans le moindre recoin, sauf là ou la mousse régnait, en reine des racines et des troncs ; parfois un bouton-d’or glissait sa pétale au beau milieu de cet océan émeraude. Partout la vie bondissait, plus joyeuse que jamais en cette saison des amours. Les oiseaux pépiaient, les oisillons piaillaient, tout un vacarme qui emplissait la grandeur des sous-bois. J’entrevis encore des mulots, mais jamais l’idée de les rapporter au camp ne prit mon esprit. Accaparée par la nature, les autres animaux ne faisaient que le rôle d’ultime décor pendant cette journée mémorable. Je me reconnais bien là, apprentie-guérisseuse que j’étais, à n’avoir que d’yeux pour les végétaux et mépriser les souris.

La guérisseuse repéra une plante, parmi bien d’autres. M’approchant le plus près possible, j’étudiai de mon regard d’envie du savoir la tige et les reliures des feuilles. Reniflant attentivement, je reconnus soudainement l’odeur caractéristique de la fameuse plante : c’était de la menthe ! J’avais détesté ça toute petite chez mes Bipèdes, car ils en avaient dans leur jardin. Je ne savais absolument pas à quoi cela servait, à part que mes Bipèdes en mangeaient. Manifestement, c’était quelque chose de très utile puisque Fleur de Pas-d’âne me demanda, de son air affectueux :

- Sais-tu comment s'appelle cette plante ? Si oui, à quoi sert elle ?

Un grand sourire aux lèvres, et très fière d’avoir trouvé, je répondis comme une flèche :

- Cela s’appelle de la menthe !

Puis, un peu maussade et déçue par mon ignorance immense et handicapante –enfin de toute façon le but d’avoir un mentor c’est d’apprendre des choses qu’on ne savait pas, non ?-, j’ajoutai d’un ton dépité :

- Mais je ne sais pas ce que c’est.

Nuage d’Or

- La menthe sert à dégager le nez, très utile.

Fleur de Pas-d’Âne préleva un morceau de menthe (c’est ça non ?) et l’emmena dans sa gueule. Elle continua de marcher à son rythme, traversant sans difficulté apparente la complexité des buissons, arbustes, et j’en passe. Pendant ce temps, je répétai avec conviction dans ma tête « Menthe pour dégager le nez, menthe pour dégager le nez, menthe pour… », en fermant les yeux. Je trottinai derrière mon mentor, plaçant mes pattes aux mêmes endroits pour ne pas trébucher. Je réussi ainsi une bonne partie du chemin, jusqu'au moment ou la guérisseuse s’arrêta brusquement (ce que je n’avais pas prévu)…

M’arrêtant à mon tour avec un peu de retard, je rouvris les yeux, interrompant momentanément ma litanie. Avec application, je me faufilai dans le sillage de la jolie chatte écaille avant d’atteindre un endroit pas plus différent que les autres. L’obscurité y était plus conséquente, l’endroit étant plus caché par les branches et les fourrés. M’acclimatant à cette diminution de la luminosité, je finis par distinguer une plante que je n’avais jamais repérée ailleurs. Me doutant que la chatte allait me demander ce que c’était, je me creusai la tête : n’avais-je jamais vu cette plante ? Sûre de chez sûre ? Mais je n’eus pas le temps d’approfondir la question car Fleur de Pas-d’Âne demanda :

- Dis-moi Nuage d'Or, sais-tu à quoi sert cette plante ?

Terriblement inquiète, je m’obligeai à rechercher plus loin dans mon esprit. Je devinai qu’on devait utiliser la feuille de la plante, car c’était rare qu’on utilise des tiges pour soigner. Mais qu’est-ce que c’était, alors ça je n’en avais aucune idée. Je reniflai la plante, cherchant désespérément. Soudain, je me rappelai de ce que disaient les Anciens : « Il faut faire attention au gui ! ». Phrase somme toute bizarre que je n’avais jamais compris mais qui me donna la réponse que je voulais (et que mon mentor espérait également) d’un ton de clairon :

- C’est du gui ! C’est de la feuille de gui !