Cela faisait précisément cinq jours qu'Etoile du Phénix avait accepté que Lac des Cygnes intègre le Clan. Cependant, elle n'avait pas eu l'occasion de le suivre du regard. Elle n'avait cessé de rester dans sa tanière en demandant le silence et la solitude. Elle avait simplement donné comme excuse qu'elle était fatiguée et qu'elle avait besoin de repos. Mais la vérité, c'est qu'elle avait senti la maladie s'attarder sur son corps. Malgré les remèdes de sa guérisseuse, son état s'était dégradé. Heureusement, Feuille d'Or avait été trop occupée avec Valse de Minuit pour venir voir sa meneuse. Mais cette dernière avait senti ses forces décliner et elle ne pouvait même pas trouver la force de manger les proies que les autres apprentis lui apportaient. Rassemblant la dernière puissance de ses muscles, elle se leva et sortit de sa tanière, les pattes flageolantes.
Dehors, le soleil pâle de la mauvaise saison lui grilla les pupilles. La noiraude n'était pas sortit de son antre depuis plusieurs jours, elle était habituée à l'obscurité. Elle s'assura qu'on ne la voyait pas, mais sa vue était devenus floue par sa faiblesse. Au moins, son odorat ne la trompa pas. Elle descendit du promontoire et trotta vers la tanière de Feuille d'Or. Elle n'arrivait pas à aligner correctement une patte après l'autre, mais elle avait assez d'instinct pour aller manger des remèdes. Il le fallait, c'était maintenant qu'elle prenait conscience qu'elle avait bien trop peur de la mort. Elle était terriblement angoissée par son sort et il fallait vraiment qu'elle guérisse à présent. Même si elle devait sous le "j'avais raison et pas toi !" de a guérisseuse, elle ne voulait pas mourir. Elle en oubliait qu'elle possédait encore neuf vies en réserve. C'est en tremblant de peur qu'elle rentra dans la tanière aux odeurs entêtantes.
Les senteurs des plantes se mêlaient à l'odeur puissante et nauséabonde de la maladie. Étoile du Phénix entrevit même la fourrure claire et emmêlée de Valse de Minuit. En reniflant avec dégoût, la chef fit quelques pas avant de s'asseoir à même la terre sèche. Quand elle entrevit la fourrure rousse de sa guérisseuse, elle releva la tête, ses yeux bleus plus brûlant que jamais, mais au fond brillait la même lueur de défi depuis sa nomination. Même si elle était faible et malade, elle ne se laissait jamais marcher sur les pattes comme un apprenti tout juste nommé. Elle dit sur une voix forcée mais pourtant forte comme avant -hors de question qu'elle paraisse faible devant elle :


« Feuille d'Or, il me faut un cataplasme. Je pense que... J'ai au moins attrapé le... Le mal... Le mal blanc. »

Elle se racla la gorge pour dégager le mucus coincé derrière sa langue. Feuille d'Or allait sûrement prendre l'occasion de l'insulter, mais la reine noire de jais était prête à rendre sur elle. Car au plus profond d'elle, elle savait que ce n'était pas le mal blanc. C'était pire que ça. Hélas.

Lasse, si lasse du temps qui passe...

Des rires, des pleurs, du bonheur, du chagrin, mais surtout, surtout, une angoisse mordante comme le froid hivernal. Mauvais jours de vie...

Une semaine ? Quelques jours ? La guérisseuse venteuse avait perdu la notion du temps. Lac des Cygnes, le beau prétendant de sa soeur, s'était fait une place dans le Clan, principalement grâce aux deux rouquines qui faisaient taire les mauvaises langues. En effet, Plume d'Orage restant neutre et Etoile du Phénix restant dans sa tanière, les guerriers n'avaient de compte à rendre à personne puisqu'aucune autorité reconnue de tous acceptait pleinement l'ex-ombreux. Heureusement, les deux soeurs étaient populaires et le respect qu'incitait le statut de Feuille d'Or suffisait à calmer les disputes.

La cheftaine restait de plus en plus dans sa tanière, mais la femelle rousse ne pouvait pas abandonner Valse de Minuit, son principal malade, ne serait-ce qu'un instant. Pour lui envoyer ses remèdes contre son prétendu rhume, la guérisseuse utilisait en guise de pigeon voyageur son apprentie, qui était dégoûtée par la puanteur qui régnait dans la grotte. Suffocante à l'idée de dormir aux côtés du mourant, elle avait rejoint ses confrères dans la tanière des apprentis. A vrai dire, sans herbe à chat, le mâle était perdu. Nuage de Nacre n'avait donc pour seules activités donner ses remèdes à Etoile du Phénix et chercher la précieuse plante, ni plus, ni moins. La belle chatte, quant à elle, s'occupait des blessés et malades temporaires qui venaient la voir mais elle se consacrait toute entière à cet agonisant, tout en sachant que son heure était proche. L'odeur fétide de la maladie ne la gênait plus, tellement elle en était imbibée. De peur de contaminer les autres, elle ne sortait pas beaucoup de sa tanière et ne rendait plus visite à Fleur de Cannelle - mais Lac des Cygnes avait largement le temps de le faire pour elle.

Pendant tout ce temps donc, elle n'avait plus jeté un seul coup d'oeil à la noiraude. Pourquoi se préoccuper d'un simple rhume ? Sa conscience lui menait la vie dure, lui répétant sans cesse qu'Etoile du Phénix avait menti, ce à quoi la rouquine répliquait avec amertune : "Elle n'a pas voulu reconnaître qu'elle était malade, tant pis pour elle. Je ne sers que ceux qui m'avouent leurs symptômes." La femelle n'avait pas tort : quand elle avait tiré les vers du nez de Fleur de Cannelle, elles s'étaient disputées. Et pourtant, maintenant, la garde-frontière était bien contente qu'elle l'ait soutenue à l'arrivée de Lac des Cygnes. A chaque fois, elle se faisait hurler dessus alors qu'au fond, les personnes étaient bien contentes qu'elle les aide. Et bien pour cette fois, elle n'avait pas envie de lui courir après. Malheureusement, Méta-Feuille d'Or n'était pas du même avis...

Les yeux grands ouverts, la guérisseuse était penchée sur le corps de Valse de Minuit. Que faire ? Il ne pouvait manger, il dépérissait à vue d'oeil, et aucun des remèdes passifs n'avaient d'effet sur lui. Un petit coup d'oeil vers la pile de remèdes lui apprit qu'il n'y avait plus beaucoup de pavot en réserve, et qu'il restait un tas de baies non triées. S'approchant de ces dernières, elle identifia sans mal quelques baies empoisonnées mélangées à celles de genévrier. Le ferait-elle ? Le mâle lui avait avoué qu'il souffrait trop...et elle lui avait promis de le sauver tant que cela serait possible...voulait-il continuer le combat, alors que tout espoir était perdu ? Une griffe argentée s'approcha de la baie rouge sang la plus proche...

« Feuille d'Or, il me faut un cataplasme. Je pense que... J'ai au moins attrapé le... Le mal... Le mal blanc. »

L'interpellée se retourna aussitôt, rentrant les griffes comme un apprenti en faute. Le coeur battant, elle se demanda si la meneuse avait vu son geste. Qu'allait-elle penser ? Qu'elle voulait assassiner quelqu'un ? En même temps, c'était un peu cela... Non, c'était pour le bien du guerrier gris ! Mais il ne lui avait pas donné son accord...en même temps avouerait-il qu'il voulait rejoindre le Clan des Etoiles ? Non, ce serait trop insultant pour les vivants, pour ses amis ! Elle lui avait promis... Au diable les promesses, si il souffre trop ! Mais si Nuage de Nacre parvenait à trouver de l'herbe à chat... En automne, avec le temps qu'il fait et les chiens, impossible !

Toutes ces pensées s'évanouirent au mot "mal blanc". Effarée, la femelle s'approcha d'Etoile du Phénix, reniflant son pelage, contemplant sa toilette, examinant son nez, comparant son état d'un coup d'oeil à Valse de Minuit... La pensée de la gronder ne lui vint même pas, car l'affair était trop grave pour la réprimander. Elle était déjà assez punie comme cela pour ne pas l'avoir écoutée, Feuille d'Or estimait cela suffisant pour pas qu'elle recommence.

A force de l'observer, la femelle était forcée de penser à quelque chose de plus grave que le mal blanc. En effet, la noiraude avait exactement la même attitude et les mêmes symptômes que Valse de Minuit quelques semaines plus tôt. C'était évident, pourquoi se voiler la face ? Elle avait le mal vert. Mais si la femelle avait le mal vert, cela voulait dire que la moitié du Clan risquait d'être contaminé. Prévention en perspective. Et cette herbe à chat, par le Clan des Etoiles, qui manquait cruellement aux réserves ! La rouquine s'en mordait les pattes... Elle eut un long soupir, et répondit avec chaleur et douceur -mais derrière cette aimabilité se cachait une profonde tristesse et un bien grand désespoir - en désignant du bout de la queue une litière libre :

- Couche-toi là, et par pitié ne me dis pas que tu n'en as pas besoin...

Trop en mal pour rétorquer, la meneuse s'effondra sur la litière. Et qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir faire la gourdasse rousse ? Lui donner des remèdes ? Trop tard, elle était morte de peur, effrayée et épuisée, elle ne pouvait plus rien avaler. En face, Valse de Minuit n'allait pas mieux, mais lui il n'avait pas gambader tous ces derniers jours dans la lande à vagabonder. Elle cillait, les lumières dansaient autour d'elle. Seule Feuille d'Or s'avançait de ci et là pour trouver ses remèdes. La noiraude posa sa tête sur les fougères, très faible pour le moment. La rouquine déposa des plantes devant elle. rien que l'odeur donnait à la reine l'envie de vomir, elle serra les dents et recula encore plus la tête, les yeux fermés. Elle sentait ses forces la quitter. La maladie avait atteinte ses bronches, ses muscles, son foie, ses reins, tout ! Elle avait la respiration sifflantes, du mucus dans la gorge, les pattes tremblantes et la queue raide de douleur. Elle se contenta de murmurer :


« Pourquoi... Pourquoi il a fallu que le Clan des Etoiles... Nous punissent ? »

Mais Etoile du Phénix venait déjà de laisser tomber ses pattes et de laisser sa bouche ouverte. Ses yeux larmoyants et ses paupières couvertes de pus ne vacillèrent même pas. Dans le regard mort de la meneuse noire de jais, elle ne perçut que la douce lumière de ses ancêtres et une chaleur étrange l'envelopper. Elle perdait une vie.

Feuille d'Or fut rassurée de voir que la femelle n'opposait aucune résistance. Se tournant avec empressement vers la pile de remèdes, elle ne voyait qu'une seule solution : le pavot et les herbes fortifiantes, deux remèdes passe-partout pour la douleur et pour échapper à la mort. Posant quatre graines sur le sol puis un petit tas d'herbes, elle vit avec inquiétude un voile se baisser sur les yeux bleu azuré de la noiraude. Il fallait faire vite.

Mais la cheftaine n'entendait pas les choses de la même manière. Reculant la tête, elle ferma les yeux. Comment l'obliger à prendre les plantes du dernier recours ? Posant une patte sur sa bouche, elle l'ouvrit de force. Maintenant la gueule ouverte, elle prit deux graines et tentait de les lui faire avaler afin qu'elle se repose mais la meneuse avait la respiration sifflante : lui faire prendre les remèdes, c'était l'étouffer. Affolée et prise d'une folle panique, la femelle abandonna cette tentative; se soldant donc par un échec.

Cherchant déjà un autre moyen pour qu'elle mange les plantes miraculeuses, la rouquine se baissa brusquement, au moment ou la meneuse murmura d'une voix à peine audible et terriblement rauque, en ouvrant grand les yeux :

« Pourquoi... Pourquoi il a fallu que le Clan des Etoiles... Nous punissent ? »

Les pattes de la noiraude cédèrent aussitôt sous le poids de cette dernière. La guérisseus, remarquant que la bouche de la venteuse était ouverte, s'empressa de lui fourrer ses multiples remèdes dans ce réceptacle. Allez, avale, avale ! Mais elle n'avalait pas. Ses yeux avaient perdu tout éclat, et dans ce regard funèbre luisait l'ombre du Clan des Etoiles. Comprenant ce qu'il se passait, Feuille d'Or recula en trébuchant, le coeur battant. Un hurlement inarticulé retentit. Sans s'en rendre compte, la femelle sombra à son tour dans les songes des guerriers de jadis.

_____________

Fleur de Pas-d'âne l'observait, assise au milieu des landes. Le vent ne soufflait plus, et la guérisseuse ne ressentait ni peur ni panique. Cependant, un tremblement l'agitait. Fixant droit dans les yeux son mentor à la fourrure calico, elle remarqua qu'une auréole de lumière l'entourait, rendant chatoyant le paysage alentour. Elle demanda d'une voix douce :

" Elle va s'en sortir ?
- Pourquoi ne s'en sortirait-elle pas ?" répliqua calmement l'ancienne mentor au regard ambré.

Déjà, les plateaux disparaissaient à la vue de la rouquine. Peu à peu, elle sentit revenir son appréhension et ses doutes. Pourtant, ils étaient tempérés par le sentiment que, quoi qu'il arrive, ils s'en sortiraient tous.

_____________

De retour dans son antre puante, la femelle se réveilla le souffle court. A peine dans son hémisphère conscient, elle se précipita vers la noiraude, inquiète. La chatte écaille-de-tortue avait-elle dit vrai ?

[Haha, j'ai joué un peu l'évanouissement moi aussi \o/]

[ On est franchement des tafioles xD ]

Étoile du Phénix cilla, affolée par cette lumière si puissante. Elle courrait toujours en face, plus loin, dans une forêt blanche. Il avançait sans s'arrêter, elle perdait sa lande. Mais où était-elle ? Ou était Feuille d'Or et Valse de Minuit ? Pourtant, la noiraude ne ressentait plus aucun signe de maladie en elle, comme si elle était guérie. Les plantes de sa guérisseuse avait dû fonctionner. Elle s'arrêta subitement, une odeur familière flottante dans l'air. Elle leva le museau. Pas de doutes, cette odeur elle la connaissait comme la sienne. Elle écarquilla ses yeux bleus. C'était impossible ! Et pourtant, ce chat était à quelques longueurs de queue de renard devant elle. Sa grande silhouette dans la lumière aveuglante de la forêt artificielle. Anis Étoilé. La meneuse voulut l'appeler, mais sa voix fut comme absorber par les arbres. Anis Étoilé lui fit signe de le suivre, elle obéit en se ruant vers lui. Ils arrivent en lisière de forêt. Là, une étrange lande baignée de la lumière des étoiles s'étendait. Au centre, une tache noire. Elle tendit le coup et remarqua une chatte noire de jais, allongée, morte. Elle se reconnut et elle frissonna. Elle comprit qu'elle venait de perdre une vie. Le chat étoile gris près d'elle lui donna un coup de langue sur la joue, un contact chaud et agréable. Et la lumière disparut. Il ne restait plus que ténèbres et fraîcheur. Puis elle sentit qu'elle écrasait quelque chose, que son corps entier reposait sur de la végétation. Elle respirait et remuait. Elle ouvrit ses yeux bleus.
Elle reconnaissait cette endroit, il ne lui était pas étranger. Au-dessus d'elle, il y avait un plafond de feuilles d'où filtrait la lumière du soleil. Les parois d'une caverne apparaissait à sa gauche, comme une tanière. Une douce odeur de plantes et de baies émanait dans l'air, m"langée avec d'autres effluves. Celles de chats. Le Clan du Vent bien entendu. Et penchée sur elle, le visage crispé et anxieux de Feuille d'Or. Qu'avait-elle à la regarder comme ça ? Étoile du Phénix inspira plusieurs fois avant de se souvenir de la scène. Anis Étoilé l'emmenant à la frontière de la forêt, lui montrant son corps inerte allongé dans l'herbe tendre du printemps. Elle avait compris qu'elle avait perdu une vie. mais pourquoi tant de silence ? Pourquoi son bienaimé ne l'avait-il pas laissé parler ? Elle voulu se lever, mais elle se sentait trop faible et lourde. Le plus étonnant, c'était que ses bronches étaient dégagées, son souffle régulier et normal, ses yeux brillaient de l'éclat des étoiles et son corps s'était refroidi. Son était de transe l'avait soigné d'une mort difficile. Mais grâce au pouvoir de ses ancêtres, elle avait pu être soignée, même si elle était fatiguée. Elle regarda la rouquine et murmura :


« J'ai perdu une vie, mais je vais bien. »

C'était vrai, elle allait bien, elle ne portait plus l'odeur ou la trace du mal vert. Mais bon sang, quelle fatigue ! Cette marche sur le territoire du Clan des Étoiles et sa guérison avaient dû demander de l'énergie, même dans sa mort. Quelle étrange sensation de mourir, de sentir son esprit s'extirper de son corps pour flotter dans une forêt inconnue et calme. Quel bonheur de flotter là-haut. Mais quel malheur de devoir quitter les siens. Elle tremblait d'angoisse.

La cheftaine respira amplement, reprenant son souffle. Son corps bougeait un peu au fil de ses inspirations/expirations. Elle semblait dormir, dans un beau rêve infini et si calme comparé au tumulute de l'existence. Parler avec le Clan des Etoiles ou être en transe, ce peut être douleur ou joie : ici, c'était du réconfort qui se dessinait sur son visage. La beauté de l'instant se suspendit dans les airs.
Maintenant ou jamais... Elle ouvrit les yeux. Sauvée. La guérisseuse eut un long soupir. De retour parmi les vivants, tous ensemble, pour le meilleur et pour le pire. Dans les yeux bleus azur de la noiraude scintillait un peu du Clan des Etoiles à présent. La chatte rousse n'eut pas besoin d'écouter la femelle pour savoir qu'elle venait de perdre une vie. Ne pensant même pas à la rabrouer, elle posa son museau sur le sien, respectueuse. Même si le Clan des guerriers de jadis lui avaient retiré sa maladie, elle devait sûremment être encore un peu affablie. Un jour dans la caverne à se reposer ne lui ferait pas de mal.
Dans la tête de la rouquine trottait inlassablement une question irritante. Elle avait besoin de savoir quelque chose. C'était important. Qu'importe la fatigue, qu'importe les circonstances, il fallait poser la question fatidique à la chatte d'encre. Si elle ne le faisait pas, personne ne le ferait à sa place. C'était son devoir de savoir. Prenant la parole avec douceur, elle interrogea son interlocutrice :

- Le Clan des Etoiles t'a-t-il parlé ?

[Désolé, je ne savais pas quoi dire et décrire l'endroit me paraissait fade...Court donc >.<]

La noiraude avait l'air assez perturbée par sa vision. Attendant que la femelle réponde, la rouquine ne bougeait pas, faisant preuve d'une patience exceptionelle : si elle ne s'était pas maîtrisée, elle aurait secoué comme un prunier la cheftaine sans le moindre égard envers sa fatigue et son incompréhension. En effet, la question était cruciale, et plus Etoile du Phénix faisait des efforts pour décortiquer son rêves, plus la signification devenait incertaine. Si elle mettait tant de temps à se l'expliquer, la guérisseuse craignait de ne jamais réussir à percer le sens caché de sa vision.

La chef venteuse reposa sa tête sur sa litière, se préparant à parler. Allait-elle y arriver ? Retenant son souffle, la guérisseuse écouta les oreilles grandes ouvertes sa meneuse, se suspendant à ses lèvres :

« Feuille d'Or, c'est à toi d'interpréter les signes. Alors dis-moi, j'étais avec Anis Étoilé dans la forêt de nos ancêtres, plus précisément aux Quatre Chênes. je me suis vue comme je suis maintenant : petite, faible, malade, morte. J'ai toujours été petite. Mais dans cet endroit, on ne pouvait pas parler, je n'arrivais pas à prononcer un mot. Tu penses que le Clan des Étoiles veut nous empêcher de dire quelque chose ? »

Elle était avec Anis Etoilé, le beau chat blanc défunt. Bien. Peut-être avait-il témoigné un signe d'amour envers son ex-compagne ? Sûremment. De toute manière, cela ne la regardait aucunement. Pour l'instant, rien de très important pour le Clan. Aux Quatre Chênes. Endroit typique des messages du Clan des Etoiles, signification : les Clans sont quatre, les Clans sont séparés mais unis. Jusque là, pas quelque chose de nouveau non plus. Elle s'est vue morte, faible, sans vie, petite chose au milieu de l'immensité. Chose habituelle durant la transe de renaissance. Pas beaucoup d'importance non plus. Mais on ne pouvait pas parler... Or généralement les guerriers du Clan des Etoiles délivrent toujours un message à la fin de chacune des vies. Le problème était là. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?

Se creusant les méninges avec affolement, la femelle essaya de faire le lien avec sa vision de Fleur de Pas-d'Âne, mais rien ne concordait, si ce n'est le fait que la défunte avait posé la question cruciale "Pourquoi ne s'en sortirait-elle pas ?". Par cette interrogation, désignait-elle le fait que Etoile de Phénix perdait une vie ou qu'elle allait devoir faire face à un nouveau problème ? Mais s'il y avait un nouveau problème, était-ce les chats de la boue ou encore autre chose ?

Une illumination de mauvais augure éclaira le cheminement de la pensée tortueuse de Feuille d'Or. Et si en les empêchant de parler, le Clan des Etoiles leur conseillait de ne pas agir ? Et si la déclaration de guerre aux chats de la boue n'était qu'une énorme erreur ? Et s'ils auraient dû ne rien faire et laisser le cours des choses expliquer les tragiques événements ? Pourtant, la guérisseuse ne voulait pas croire à cette interprétation : premièrement, le Clan et sa meneuse n'accepteraient jamais cette traduction de la vision. Deuxièmement, elle était persuadée que les chats de la boue étaient les responsables des meurtres. Certes, ce n'est pas parce qu'ils sont plusieurs à avoir tort qu'ils ont raison, mais il y avait trop de preuves pour ne pas y croire. Troisièmement...ne pas agir reviendrait à se laisser trucider par l'ennemi et les alliés, bref la totale. Il fallait être véritablement sucidaire pour annoncer cela... Décidant d'opter pour une présentation plus soft des choses, la rouquine répondit la gorge nouée :

- Etoile de Phénix, j'ai un mauvais pressentiment. Le Clan des Etoiles n'approve pas nos actes, c'est évident. Mais lesquels, je n'en sais rien... Depuis que tu as reçu tes neufs vies, tu n'as pas reçu un seul rêve indicateur ? Pour ma part, j'ai eu une vision durant ta transe : Fleur de Pas-d'Âne m'est apparue, mais ses réponses à mes questions étaient vagues. Pourtant, cela ne concorde pas, elle paraissait penser que tout aller bien se terminer... Je ne préfère pas tirer de conclusions trop hâtives. La demi-lune approche, et je pourrais dialoguer en toute sérénité avec les guerriers de jadis. Peut-être en saurais-je plus quand je reviendrais...

[Première traduction des actes des guerriers de jadis pour Or ! 8D Si tu trouves ça trop tiré par les cheveux ou autre, je modifie entièrement le RP et je donne une autre interprétation ^^]

Étoile du Phénix était en proie au doute. De toute évidence, elle pensait devoir forcément prendre une décision en conséquence...alors que la guérisseuse aurait préféré attendre. Que de complications ! Pourtant, impossible de revenir en arrière, le mal était fait. Mais...était-ce leur passé qui leur était reproché ou l'instant présent ? Si seulement la rouquine avait posé les bonnes questions à Fleur de Pas-d'Âne, tout aurait été plus clair ! Mais quels avaient donc été les torts du Clan du Vent pour attirer le courroux du Clan des Étoiles ?

L'hésitation et la crainte de se tromper envahissaient Feuille d'Or. Incapable de trancher, elle se triturait la cervelle : avait-elle donné la bonne interprétation ? Était-ce seulement une coïncidence, ce silence soudain ? Peut-être que ce dernier n'était qu'un message de tranquillité et de paix ? Pourquoi donc diable les guerriers de jadis essayeraient de mener les venteux droit sur le chemin de la guerre, chose si contraire à leurs lois ? Désiraient-ils vraiment à nouveau entendre le giclement du sang ?

« Très bien, c'est maintenant que tout se joue si j'ai bien compris. » déclara la noiraude, pinçant ses lèvres en signe de contrariété. « Si nos ancêtres ne sont pas en accord avec mes actes, c'est que ce présumé Clan de la Terre y joue un rôle perturbateur. Moi qui avait préconisé une nouvelle paix pour le Clan du Vent, nous allons devoir suivre la voie demandée par le Clan des Étoiles. Pour le bien de mon Clan et de nos ancêtres, nous allons détruire le Clan de la Terre. »

La féline se crispa aussitôt. Pourquoi agir, si le Clan des Etoiles préconisait justement de ne pas agir et de rester en spectateur ? Il fallait écouter les ancêtres ! Le côté de la croyance commençait à reprendre le dessus sur la raison. Pourtant, Feuille d'Or était parfaitement consciente du fait qu'annoncer cela au Clan serait une insulte : allez dire à ces guerriers déchaînés que non, ils n'iraient pas se battre et resteraient au chaud sous prétexte que c'était la signification d'une vision totalement abstraite ! Les griffes de la femelle crissaient sur le roc : elle ne savait que faire, elle ne savait que conseiller à son aînée. Elle ne voulait pas que le sang de ses frères de coeur recoule -elle avait trop vu la guerre dans tous ses états abjects et repoussants lors de la vengeance d'Etoile du Lac !-, mais elle ne voulait pas non plus que les assassins de la boue tuent d'autres de ses camarades.

La meneuse avait promis la paix à son peuple, elle lui avait promis la sérénité et le calme de la réussite. Pourtant, aujourd'hui même, elle prononçait les mots fatidiques qu'elle répéterait à ses citoyens et soldats tous unis dans la destruction :

« Je leur déclare la guerre, à eux et à leurs alliés. »

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La voix forte et plus glaciale que jamais, la noiraude fixait de son regard saphir la guérisseuse. Celle-ci, courbant l'échine, accepta par ce geste de soumission à contre-cœur sa décision. Que dire, sinon rien ? Les larmes brillaient dans les yeux vert émeraude de la rouquine. A présent, la terreur de la bataille les attendait, elle et les siens. Plus qu'une idée lui resterait de cet entretien : se préparer à affronter le pire de tout.

- Puisque telle est ta décision, Étoile de Phénix, annonce-le au Clan. A mon retour de la demi-lune, j'espère pouvoir te dire qu'elle était bonne.