Cela ne faisait que quelques lunes que Jus d'Orange était guerrier, mais déjà la nostalgie de l'Antre des Apprentis le prenait de temps en temps... Et parfois, même, des souvenirs lointains de la merveilleuse Pouponnière lui revenait. Oui, merveilleuse, sauf pour les Reines qui y mettent bas dans d'atroces souffrances pour ensuite devoir s'occuper des rejetons turbulents désobéissants. Mais Jus d'Orange avait la chance d'être un mâle, et il ne voyait la Pouponnière que comme un havre de paix où il avait gentiment passé son petite enfance.
Mémoire sélective.

Mais quelle ne fut pas sa surprise se matin-là quand il se réveilla, en passant devant la Pouponnière pour aller à la Pile de Gibier, d'entendre des chatons agités, trop remuant, piailler des choses incompréhensibles et faire des bruits énervants...
Que se passait-il ? La Pouponnière était attaquée ou quoi ?

Il passa sa tête par la petite ouverture de la Pouponnière, pour jeter un coup d’œil... Et il tomba nez-à-nez avec un petit chaton aux grands yeux bleus.

Le chaton eut l'air surpris mais ce n'était rien devant Jus d'Orange. Cela faisait quelques temps qu'il n'avait pas vu de chat en dessus de 6 lunes de si près... Et celui-là était particulièrement... Petit.
Bon, peut-être qu'il devait paraître grand pour son âge, mais il faut aussi prendre en compte que Jus d'Orange n'était pas très objectif, ayant plus l'habitude de côtoyer des guerriers. Alors forcément, il était un peu désorienté.

Une odeur de lait chaud lui parvint aux narines, et il se sentit tout à coup très bête de rester planter à l'ouverture de la pouponnière, n'y ayant rien à faire. Surtout que le p'tit chaton blanc avait maintenant une tête de merlan fris, et il le fixait de ses trop grands yeux, sans bouger. Bah c'est malin, v'là qu'il faisait peur aux chatons, maintenant...

Le chat roux hésitait entre s'excuser d'être venu sans raison ou partir sans demander son reste, quand la boule blanche sembla se reprendre, comme si de rien n'était, et lui demanda son nom, avec son petit air curieux et sa bouille toute innocente à laquelle personne n'aurait pu dire non...

Alors, Jus d'Orange se redressa, fier de susciter la curiosité de quelqu'un -même si c'était un chaton, qui était, par définition, le plus curieux de tous les êtres- et lui fit un petit sourire.

« Je m'appelle Jus d'Orange. Et toi ? »

Comment devait-on réagir exactement face à un chaton ? Le chat ocre était un peu perdu... Cela faisait tellement longtemps qu'il avait cessé d'en être un... Et pourtant, il faudrait bien qu'il s'y habituer, à ces petites bêtes, un jour. Rien que pour pouvoir être, éventuellement, un bon futur mentor.

Jus d'Orange hocha la tête, avec une moue impressionnée. Il ne fallait pas décevoir Petit Glaçon, il avait l'air tellement fier de lui ! Le chat roux essaya alors de se souvenir de sa propre enfance, et à quel point il avait été heureux le jour de son baptême, alors même qu'il était plutôt un chaton qui intériorisait ses sentiments, il n'avait pas pu s'empêcher de pratiquement sautiller sur place toute la journée... Le chef avait cru bon de faire son baptême dans la soirée... Mais cette journée, bien qu'un peu stressante, restera à jamais gravée dans la tête du guerrier comme un très beau jour.
C'est ça, la magie de l'enfance.

Le chaton blanc se mit alors à ronronner, sans raison apparente, et se passa une patte derrière l'oreille, avant de reporter à nouveau son attention sur Jus d'Orange. Le guerrier en déduisit qu'il était un peu agité... Peut-être avait-il envie de sortir ? Après tout, un petit chat, ça court partout, c'est actif, impossible que ça tienne en place aussi longtemps...

Jus d'Orange n'était pas sûr d'avoir vraiment le droit de proposer à un chaton dont il ne connaissait pas la mère de sortir, sans l'accord de cette dernière. Il jeta un regard circulaire dans la pouponnière, et puis il se dit que, tant pis, s'il faisait quelque chose de mal, il s'expliquerait après avec les Reines. Après tout, ce n'était pas de sa faute si elles laissaient leurs chatons aller parler à des Guerriers...

« Petit Glaçon... »

Il fit un pas en avant, rentrant dans la pouponnière, et abaissa sa tête pour que ses yeux soient au niveau de ceux du chat blanc.

« Tu m'as l'air d'être un grand chat. Tu es déjà allé voir en dehors du camp ? »

Et puis il lui fit un grand sourire espiègle plein de dents. C'est qu'il est un peu gamin, Jus d'Orange.

« Petit Glaçon... »

« Tu m'as l'air d'être un grand chat. Tu es déjà allé voir en dehors du camp ? »

Quoi? le chat ocre lui proposait une sortie hors du camp ? Petit Glaçon cligna plusieurs fois des yeux pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Dire qu'il s'était levé si tot ce matin justement pour ça! De plus, il était rare que les guerriers viennent dans la pouponnière ( en même temps qui aurait pu supporter de son plein gré une horde de chatons pialleurs et capricieux) et encore plus rare qu'ils lui parlent à lui, Petit Glaçon. Certains lui jetaient même des regards de mépris étant donné que son père appartenait au Clan de la Rivière, et qu'il y avait justement des tension avec ce clan en ce moment.

Petit Glaçon aurait voulu hurler de joie, sauter au cou de Jus d'orange, lui dire à quel point il était heureux de cette attention... Pourtant, aucun son ne sortit de sa gorge, et il se contenta d'un vigoureux hochement de tête, un peu idiot, devant le regard espiègle du matou orange.

Petit Glaçon fixait toujours Jus d'Orange de ses yeux émerveillées. Il avait l'air totalement emballé par l'idée. Mais quelle idée ? Le Guerrier haussa un sourcil inquisiteur, se demandant comment il devait prendre ce hochement de tête vigoureux.

« Oui quoi ? Oui tu es déjà sorti du Camp ? Ah, dommage... Donc tu ne veux très certainement pas m'accompagner pour faire un petit tour, n'est-ce pas ? De toute façon, quel chaton voudrait traîner avec un vieux crouton comme moi, hein ? »

Il prit un air faussement triste et dépité, cachant tant bien que mal un petit sourire en coin. Il voyait bien que Petit Glaçon était terriblement excité à l'idée de faire une petite escapade matinale, et il avait très bien comprit à quoi il répondait oui... Mais, Jus d'Orange avait envie de le faire languir. Sadiquement, il faisait durer le plaisir.

Il avait l'impression que le chaton était un peu timide, il ne devait pas y avoir beaucoup de Guerriers qui visitent la Pouponnière... Juste peut-être quelques Guerrières qui aspirent à devenir Reines et qui voudraient voir à quoi ça ressemble, ou qui viennent rendre visite à leur amie qui a eu des chatons...

Seules les chattes venaient à la Pouponnière... Et Jus d'Orange, aussi.

Il regarda une nouvelle fois autour de lui, maintenant qu'il était rentré, et il ne vit que quelques femelles et des chatons... Cet univers typiquement féminin ne le mit étrangement pas si mal à l'aise que ça... Un mâle, normalement, ça devrait avoir peur, être totalement effrayé par cet endroit remplit d'hormones femelles et d'esprit maternels. Jus d'Orange devait très certainement être rare dans son genre...

« Oui quoi ? Oui tu es déjà sorti du Camp ? Ah, dommage... Donc tu ne veux très certainement pas m'accompagner pour faire un petit tour, n'est-ce pas ? De toute façon, quel chaton voudrait traîner avec un vieux crouton comme moi, hein ? »

Oh non Petit Glaçon ne savait plus quoi dire... le guerrier orange ne savait pas à quel point il voulait sortir dehors, et il avait mal interprété son hochement de tête.

. Petit Glaçon ne remarqua pas le petit sourire en coin de Jus d'Orange, ni la petite lueur sadique qui allumait son regard.

Il voulut se rattrapper, donner une réponse plus claire au chat ocre, mais seul un grommelement incompréhensible sortit de sa gorge, ce qui le fit se sentir encore plus stupide. Il se sentait terriblement triste... pour une fois qu'un guerrier lui avait montré de l'interêt, il avait tout fichu en l'air.

Puis brusquement, une autre idée stupide lui traversa l'esprit : il contourna Jus d'Orange, se campa devant l'entrée de la pouponnière avec l'espoir fou de lui bloquer la sortie et déclara :

"Tu ne sortira pas sans moi ! je veux vraiment découvrir la forêt"

Manoeuvre stupide, mais le chaton blanc esperait ainsi impressioner le guerrier roux. Il devait s'avouer que ce dernier l'impressionnait vraiment : il était différent des quelques autres guerriers ( principalement les pères des chatons actuellement dans la Pouponnière : qui d'autre aurait pu trouver le courage de supporter tant de sales gosses?) que Petit Glaçon avait rencontré précedemment. En plus sa fourrure rousse brillait si fort ! Il aimerait bien que Jus d'Orange lui apprenne à lisser la sienne comme ça !

Petit Glaçon ne marcha pas, il couru ! Comme prévu, il ne savait plus quoi dire, sûrement terrifié à l'idée de rater sa première occasion de voir comme c'était, à l'extérieur. Jus d'Orange se traita intérieurement de bourreaux d'enfant. Alors, pour se donner bonne conscience, il fit semblant d'avoir peur face aux menaces du chaton. Il recula d'un pas et afficha une mine terrifiée.

« Oh ! Non, ne fait pas ça ! Je ne veux pas rester enfermé dans la Pouponnière ! De grâce, laisse moi sortir ! Je t'emmènerais où tu voudras ! »

Oui, oui, le chat roux avait très certainement du être acteur dans une vie antérieure. Bon, d'accord, aucun chat n'aurait cru à sa fausse peur, il n'était vraiment pas bon en tragédien. Mais pour un petit chaton un peu intrépide et gentiment naïf, cela devrait sûrement faire l'affaire.

Le Guerrier commençait à bien aimer cette boule de poils blanche. Le fait qu'il se sentait invincible, apte à empêcher un Guerrier de deux fois sa taille de passer, était attendrissant. Aussitôt, Jus d'Orange se secoua mentalement à cette pensée. Il n'allait pas devenir gaga gâteux, quand même, si ?

« Oh ! Non, ne fait pas ça ! Je ne veux pas rester enfermé dans la Pouponnière ! De grâce, laisse moi sortir ! Je t'emmènerais où tu voudras ! "

Petit Glaçon se redressa de toute sa hauteur, très fier d'avoir impressionné le guerrier roux par sa manoeuvre idiote. Il sentait que le chat ocre en rajoutait un peu, et celà lui faisait encore plus plaisir car ça montrait que quelqu'un ici s'interessait un peu à lui. Il commençait sérieusement à vénerer Jus d'Orange ( vénération malsaine?), et avait vraiment hate de sortir dehors avec lui.

Il allait enfin pouvoir sortir du camp, et sa mère adoptive ne pourrait rien lui dire, car il serait avec un guerrier. C'est vrai quoi.... il passait ses journées enfermé avec des chatons plus jeunes que lui, qui ne le comprenait pas forcement vu son enfance tragique...( désolée je sais que t'aimes pas les histoires tragiques si banales ) Prendre un peu d'air lui ferait le plus grand bien. Puis il avait une sorte de joie malsaine à faire peur à sa mère qui s'inquiterait pour lui et qui serait prête à parcourir la forêt en long en large et en travers pour le retrouver.

Ayant remarqué que Jus d'Orange soignait beaucoup sa fourrure, il se passa ostensiblement deux coups de langue sur le poitrail et se passa la patte sur l'oreille afin de faire bonne impression, puis il dit :

"Alors, on y va?""

Jus d'Orange sentait le petit chaton tout fier de lui. Il se fit beau en deux trois coup de langue puis se tourna à nouveau vers le Guerrier, impatient de partir.

Le rouquin se demanda alors s'il allait pouvoir tenir un chaton tranquille, et s'il n'allait pas le perdre. C'est vrai, quoi, il avait l'air sage, comme ça, le nabot blanc, mais qui sait comment il réagira ensuite ? C'est imprévisible, les chatons, tout le monde le sait...
Jus d'Orange haussa les épaules... Bon, de toute façon, c'est pas si facile que ça de perdre un chaton... Déjà, ça de petites pattes, donc ça ne peut pas aller bien loin. Il suffisait juste de ne pas marcher dans les hautes herbes pour ne pas le paumer dans la verdure. Ensuite, Jus d'Orange avait un bon odorat, alors tout baigne.

Il sourit et passa à côté de Petit Glaçon qui " bloquait " toujours l'entrée. En passant, il fit un signe queue au chaton, lui intimant de le suivre. Il fit quelques pas avant de se retourner.

« Bon, alors. Le territoire du Clan du Tonnerre, c'est, en gros, la forêt. Mais la forêt c'est grand, c'est plein d'arbres, avec des bestioles dangereuses qui mangent les petits chatons cachés derrière, on s'y perd tout le temps et en plus on s'y salit facilement les pattes quand il fait humide ! »

Jus d'Orange grimaça à cette pensée... Voilà encore une raison pour laquelle il préférait l'été, et son temps sec... La boue, ça colle à la fourrure, ça salit vite, ça a une couleur atroce... C'est humide... Par le Clan des Étoiles, c'est tout simplement affreux...

« Alors, toujours partant ? »

Et sur ce, il lui offrit son plus grand sourire enjoué de psychopathe, pour la peine, des fois que Petit Glaçon ne l'ai pas encore prit pour un fou furieux...

Jus d'Orange voyait bien qu'il avait fait peur au chaton. Mais c'était l'effet escompté. S'il arrivait à lui faire suffisamment peur, il arriverait à le tenir tranquille par la suite, et il pourrait espérer qu'il ne s'éloignerait pas trop. Mais malgré ce que lui avait raconté le Guerrier, Petit Glaçon répondit avec aplomb, la queue droite et le regard fier.

« Je viens avec toi. »

Le rouquin hocha la tête avec approbation, avec un petit sourire. C'était exactement la réponse qu'il attendait. Il avait fait croire à Petit Glaçon qu'il était en position de force, et qu'il avait eu le choix de venir ou non, mais en fait Jus d'Orange était plus que conscient qu'aucun chaton ne dirait jamais non à une sortie de la Pouponnière, même si c'était risqué. Surtout si c'était risqué. Maintenant qu'il avait réussi à plus ou moins l'effrayer, il espérait que le chaton ne fera pas sa tête brûlée en essayant de le semer une fois qu'ils seraient sortis du Camp. Pas qu'il y arriverait, il faut être doué pour brouiller un Guerrier averti à moins de six lunes, mais on ne sait jamais... Et surtout, maintenant que Petit Glaçon avait répondu avec autant de ferveur, et qu'il avait montré son entière envie de le suivre, c'était Jus d'Orange qui était totalement en position de force. Il savait que Petit Glaçon voulait sortir, et le chaton blanc savait qu'il le savait... C'était compliqué, mais le chat roux avait presque quatre ans de manipulations vicieuses dans son dos. Malheureusement, cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu à faire à un chaton, peut-être avait-il oublié quelque chose...

« Bon. Alors, viens ! »

Il lui sourit gentiment. C'était un sourire sincère, il appréciait vraiment Petit Glaçon. D'un signe de tête, il pointa la sortie du Camp et s'y dirigea, sans attendre que la boule de poil blanche le suive. De toute façon, il était obligé de le suivre. Le contraire était mathématiquement impossible.
Jus d'Orange s'en voulu un peu d'avoir laissé son esprit calculateur refaire surface, mais on ne change pas un chat si facilement, les habitudes les plus malsaines sont les plus difficiles à faire disparaître.